Persepolis : Va, vis et deviens
Cinéma

Persepolis : Va, vis et deviens

Persepolis est l’adaptation de la célèbre bédé autobiographique de Marjane Satrapi. À Cannes, la bédéiste, son coréalisateur Vincent Paronnaud et les actrices Chiara Mastroianni et Catherine Deneuve ont discuté de provocation, d’animation et d’adaptation.

Au moment de la rencontre, les bédéistes Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (mieux connu sous le pseudonyme Winschluss) savaient que le gouvernement iranien en voulait au Festival de Cannes d’avoir sélectionné leur premier long métrage, Persepolis, pour sa 60e édition: "Je suis très libérale et je comprends que certains n’aimeront pas le film, affirmait la réalisatrice. Le ministre de la Culture a envoyé une lettre à l’ambassadeur de France à Téhéran, mais c’est tout. Il ne faudrait pas que les médias en fassent tout un plat! C’est en répétant que le film choquera qu’ils alimenteront la polémique et risqueront de créer un phénomène dangereux. De grâce, ne me mettez pas en danger!"

Adaptation des quatre tomes de la bédé éponyme, Persepolis raconte les tribulations de Marjane Satrapi (Gabrielle Lopes Benites), fillette à la langue bien pendue évoluant au sein d’une famille cultivée de Téhéran, incluant une mère émancipée (Catherine Deneuve) et une grand-mère n’ayant pas froid aux yeux (Danielle Darrieux), qui traverse de grands événements historiques: la révolution, la chute du schah, l’instauration de la République islamique et la guerre contre l’Irak. Afin de la protéger, ses parents l’enverront poursuivre ses études à Vienne; l’exilée de 14 ans (Chiara Mastroianni, fille de Deneuve) y vivra sa crise d’adolescence. Le retour au bercail sera pénible.

Ainsi, Marjane se fera notamment remarquer avec ses positions rebelles et un discours dénonçant le code vestimentaire imposé aux femmes, lequel fut applaudi lors de la projection à Cannes. À quelques jours de partager le Prix du jury avec Lumières silencieuses de Carlos Reygadas, ce qui provoqua de nouveau la colère du gouvernement iranien, nous avons osé demander à la réalisatrice, qui vit à Paris, si elle ne craignait pas de choquer son pays d’origine.

"Absolument pas! L’Iran que je décris dans Persepolis est celui de 1994, a-t-elle expliqué. Aujourd’hui, les jeunes Iraniennes sont beaucoup plus provocantes que je pouvais l’être à l’époque; elles portent des micro-jupes et se maquillent à outrance. S’il y a provocation, elle ne vient pas de moi, mais de ces jeunes filles. Mon film n’a rien de provocant; j’y révèle seulement tout haut ce que le monde pense tout bas. Évidemment, vu comme ça, ça semble provocant, mais au fond, c’est un film humain, universel, car dans tous les pays du monde, dès que la situation change, le changement dépasse l’individu."

Chiara Mastroianni, qui assure également la narration, renchérit: "C’est vraiment un récit universel, car perdre un membre de sa famille, chercher son identité, c’est propre à tous. À certains moments, on oublie même qu’il s’agit d’un film d’animation en noir et blanc grâce à l’originalité des dialogues. En fait, ça ne ressemble en rien à ce qui se fait."

Connaissant bien Satrapi pour ses bédés dans Libération et pour l’avoir invitée à participer à un numéro spécial de Vogue qu’elle a dirigé, Catherine Deneuve se réjouit de l’existence d’un tel film: "Grâce à Persepolis, les gens découvriront un autre aspect de l’Iran, qui n’a rien à voir avec ce qu’on lit dans les journaux. On y rit aussi! Je ne dirais pas que c’est un film controversé mais très politisé, et de toute évidence, il ne plaira pas à tous."

DU LIVRE À L’ÉCRAN

C’est lors de la parution de Persepolis aux États-Unis, où on lui a proposé d’en faire une télésérie à la Beverly Hills 90210, que Marjane Satrapi a eu l’idée d’en faire un film: "Toutefois, transposer à l’écran une bédé qui a eu du succès est une très mauvaise idée puisqu’on s’attend à ce que le film marche aussi bien. On a donc décidé de faire le film à notre goût parce qu’on ne pouvait pas passer à côté de cette chance. Vincent et moi, on était comme des enfants! On ne comprenait pas toujours ce qu’on faisait."

Très discret, son complice enchaîne: "Notre volonté, c’était de préserver l’énergie et le rythme du livre. Ensuite, on s’est demandé comment on allait transposer ça cinématographiquement. Au début, on a écrit l’adaptation, puis on a élaboré les décors qui ne se trouvaient pas dans le livre. Pour l’animation, on souhaitait quelque chose de sobre et de vivant. C’était un problème que de convaincre des animateurs de se joindre à nous parce qu’on vient de la bédé. Le reste est très technique et je ne crois pas que ça intéresse grand monde…"

Éprise de Persepolis, Chiara Mastroianni avoue s’être imposée dans le projet lorsqu’elle a su par sa mère que la bédé allait faire l’objet d’une adaptation. Elle a tellement aimé l’expérience qu’après l’enregistrement des voix, elle a observé le travail des animateurs: "Au début, ce que je trouvais étrange, c’est que Marjane avait enregistré elle-même toutes les voix avant de faire les images. En arrivant au studio, je me disais que c’était surréaliste de travailler sans images, même si j’avais celles du livre en tête. Pour chaque scène, Marjane me décrivait comment mon personnage allait bouger et lorsque j’ai vu le résultat, j’ai alors compris toute la liberté qu’elle m’avait donnée."

Satrapi, qui est devenue une bonne amie de l’actrice, lui a même permis de massacrer la chanson Eye of the Tiger: "Oui! C’était fantastique! L’un de mes meilleurs moments! Marjane voulait que je chante faux, mais je ne savais pas qu’elle voulait que j’aille aussi loin!"

Très attendu par les fans de la bédé, précédé d’une excellente rumeur, Persepolis pourra-t-il toutefois rejoindre un public qui n’entend rien au dessin animé, en noir et blanc de surcroît? "Je crois que les gens qui n’aiment pas l’animation seront curieux de le voir après avoir lu des critiques positives, mais en même temps, on ne peut pas les forcer à le faire. Le succès de Persepolis dépendra de la façon dont Marjane le défendra. Cela dit, c’est un film très spécial…" croit Catherine Deneuve, qui ne compte plus ses visites au Festival de Cannes.