Le Scaphandre et le Papillon : À tire-d’aile
Dans Le Scaphandre et le Papillon, qui a valu le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes à Julian Schnabel, Marie-Josée Croze a rencontré le personnage le plus difficile à interpréter de sa carrière. De Paris, l’actrice se souvient du tournage qui fut une aventure insolite pleine d’inventions, d’interrogations et de moments dans le brouillard.
Lors de son passage au Festival de films Cinemania, le réalisateur français Jean Becker a dit de Marie-Josée Croze, qu’il avait dirigée dans le thriller Deux jours à tuer, qu’elle n’était pas encore une star en France, mais une actrice respectée. Au dire de la principale intéressée, cela s’explique par le fait qu’elle n’est pas du genre à sortir en boîte tous les soirs au bras de célébrités et ainsi s’offrir en pâture aux paparazzis. Un choix de vie qui l’honore et sert très bien son parcours cinématographique presque sans faille.
"Je ne veux pas être une star, explique-t-elle au bout du fil. Ça ne m’intéresse pas! L’important, c’est d’être vigilant lorsque vient le temps de choisir ses rôles. Moi, je suis vraiment difficile à séduire et je ne me laisse pas faire. Je ne suis pas compliquée, mais j’ai quand même des exigences."
Séduite, elle l’était à l’idée de travailler avec Julian Schnabel, à qui l’on doit Basquiat et Before Night Falls: "C’est un personnage intéressant du fait qu’il soit peintre; il n’y avait aucun doute qu’il fallait que je fasse Le Scaphandre et le Papillon."
Récit autobiographique publié en 1997, ce best-seller raconte le triste destin de Jean-Dominique Bauby (Mathieu Amalric) qui, à la suite d’un AVC, fut victime du locked-in syndrome. Privé de son oeil droit, ne pouvant plus parler ni bouger ni respirer par lui-même, l’ex-rédacteur en chef d’Elle dicta son livre en clignant de l’oeil gauche grâce à un système alphabétique créé par l’orthophoniste Sandrine Fichou. Premier à pouvoir témoigner de l’expérience du syndrome d’enfermement, il mourut trois jours après la publication.
TOUT SUR MOI
Aucun acteur n’a passé d’audition pour Le Scaphandre et le Papillon. En ce qui concerne Marie-Josée Croze, Schnabel l’avait remarquée dans Les Invasions barbares de Denys Arcand et Munich de Steven Spielberg. À peine revenait-elle de sa rencontre avec le réalisateur que celui-ci l’appelait pour lui dire qu’il avait besoin de gens comme elle pour jouer dans son film.
En lisant le scénario, Croze a eu le coup de foudre pour l’orthophoniste qu’elle a renommée Henriette, affectionnant les prénoms anciens. En fait, elle voulait tant tourner avec Schnabel qu’elle aurait accepté de jouer l’ex-femme de Bauby (Emmanuelle Seigner) ou sa maîtresse (Anne Consigny). Heureusement pour elle, le rôle d’Henriette lui échut.
"Henriette est une orgueilleuse, raconte celle qui a rencontré l’orthophoniste de Bauby. J’aime beaucoup quand mes personnages ont des défauts, ça me permet de m’accrocher à eux et de les aimer. Il y a un pivot chez ce personnage. Au début, elle a un côté petit boss et voit l’aspect expérience médicale; puis, lorsque Jean-Dominique lui apprend qu’il veut mourir, elle le reçoit dans la gueule. Cette réalité la force à changer. Elle comprend alors qu’on ne peut pas aider les gens malgré eux."
Si le personnage la touchait, la façon dont allait être tourné le film l’angoissait tout autant: "En lisant le scénario, ça me faisait flipper parce que je savais que tout serait filmé du point de vue de Jean-Do, donc que ça allait être tout sur moi… tout sur ma gueule! Je me sentais à poil. Je ne crache pas sur mon physique parce que j’ai le succès que j’ai grâce à lui, mais il n’est pas dans mes goûts à moi. Ma façon de l’accepter, c’est de m’en foutre."
L’actrice, qu’une journaliste de Libération a comparée à un hérisson, poursuit: "Olivier Gourmet m’a dit que chaque acteur avait ses spécialités – ça me fait penser à un menu de resto. Ma spécialité, c’est la communication. Je crois être une bonne partenaire de jeu parce que j’adore l’échange. Dans la vie, je me protège beaucoup, il n’y a que dans le jeu que je n’ai peur de rien. C’est peut-être pour ça que j’ai tout souffert sur le plateau de Julian."
OMBRES ET BROUILLARD
Peintre depuis une trentaine d’années, Julian Schnabel n’en était qu’à son troisième film, et sa façon d’aborder le cinéma (voir encadré) a étonné quelque peu les acteurs et artisans de l’oeuvre. Couché dans un lit avec un combo portatif, celui-ci criait ses ordres en anglais aux acteurs qui ne saisissaient pas toujours où il voulait en venir.
"C’était le bordel, se souvient Croze, qui a dû sacrifier un autre film. Il n’y avait aucune répétition, mais bizarrement, ça marchait. On ne faisait pas énormément de prises, même qu’on a fini 10 jours plus tôt que prévu. Quand j’ai eu terminé le film, je n’en ai parlé à personne car je ne savais pas si c’était génial ou raté. C’était la première fois de ma vie que je n’avais aucune idée de ce qui s’était passé."
Jusqu’au moment de tourner, Schnabel ignorait comment il allait mettre en scène les interactions entre Amalric et les autres acteurs. Finalement, l’excellent acteur se tenait dans une autre pièce, improvisant ses répliques au gré de celles de ses partenaires qui s’adressaient au directeur photo allongé dans un lit: "Je ne peux pas dire que c’était stimulant, j’étais juste dans le brouillard…"
Brouillard ou non, cela n’a pas empêché Marie-Josée Croze de tenir tête à Julian Schnabel lorsqu’elle n’était pas d’accord avec les choix du fougueux réalisateur, allant jusqu’à refuser de porter la chemise rose de ce dernier – qui doit faire quatre fois la taille de l’actrice – sous prétexte qu’il avait besoin de couleur dans l’image, ou encore à claquer la porte après une scène où elle n’était pas d’accord avec ce que disait son personnage.
"J’aspire à la vérité, affirme Croze, qui reconnaît avoir été culottée. Jouer, c’est un acte de générosité, un cri, et c’est l’histoire que tu te racontes qui nourrit ton corps, ton jeu. On peut me manipuler, mais pas me diriger… ou alors me convaincre. Après avoir claqué la porte, j’ai entendu Julian qui me rappelait pour que je m’excuse auprès du personnage. J’ai donc improvisé la seconde partie de la scène."
Malgré les angoisses et les accrochages, il y a eu des moments drôles durant le tournage, et plus que tout, Marie-Josée Croze se dit fière du résultat: "Je suis tellement amoureuse du Scaphandre! Plus j’y pense, plus j’en parle, plus je l’aime. Je l’ai même vu trois fois. J’aime l’espoir qu’il transporte. Ce film te dit que ta seule richesse, c’est ton imaginaire, ce que tu portes à travers toi. C’est rare d’entendre ça aujourd’hui", conclut celle pour qui 2008 s’annonce encore pleine de possibilités.
BRÈVE RENCONTRE SOUS LE SOLEIL
À Cannes, Julian Schnabel, en pyjama et robe de chambre, a rencontré les journalistes au bord de la piscine d’un grand hôtel. Voici ses réflexions sur…
La différence entre le cinéma et la peinture:
"Ce que j’aime de la peinture, c’est que ça ne bouge pas! Je n’ai besoin de parler à personne lorsque je peins. Je n’ai pas besoin de savoir si c’est bon ou non. C’est la liberté totale!"
Le biopic:
"Je ne crois pas faire des biopics. J’aurais bien voulu réaliser Le Parfum, et pourtant, Grenouille n’a jamais existé. C’est davantage le sujet qui m’intéresse, qu’il ait vécu ou non."
L’apport de sa peinture à son cinéma:
"Lorsque je peins, j’aime créer de grandes formes blanches, sans que je sache pourquoi. Dans Le Scaphandre, il y a de grandes ombres blanches à la gauche de l’écran. Je disais au directeur photo (Janusz Kaminski) que je me foutais qu’on ne voie pas les acteurs au complet et qu’il n’avait qu’à changer de côté lorsqu’il serait fatigué. Lui rétorquait: "Tu ne me laisses pas travailler!", ce à quoi je répondais d’adopter une attitude de touriste."
Les conventions cinématographiques:
"Un cadreur (Berto) m’a dit qu’il y avait quatre façons de filmer un homme conduisant sa voiture. Je lui ai dit d’arrêter de me mentir, puis lui ai demandé de se coucher sur le plancher de la voiture pour filmer le personnage au volant. En réalité, Bauby n’avait pas de cabriolet, mais moi, je voulais voir Paris, les arbres et tous les buildings apparaissant de toutes parts. Si vous regardez le film en noir et blanc, vous aurez l’impression de regarder le générique des 400 coups de Truffaut."
La raison de tourner Le Scaphandre et le Papillon:
"J’avais besoin de faire ce film. Mon père est mort à 92 ans, terrifié par la mort, et j’aurais aimé l’aider à la confronter. Grâce à ce film, c’est comme si Jean-Dominique Bauby parlait de l’au-delà pour nous appeler à nous dépasser et à vaincre cette peur."