Junior : Jeu de puissance
Cinéma

Junior : Jeu de puissance

Avec Junior, les réalisateurs Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault nous font pénétrer dans l’univers hermétique du hockey. Retour sur une longue saison passée à l’aréna.

Un petit coup d’oeil au classement de la LHJMQ. Le Drakkar de Baie-Comeau a le vent dans les voiles. L’équipe flirte avec le premier rang. Avant longtemps, on dira que ça commence à sentir la coupe Memorial…

Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault sont au courant. Évidemment qu’ils continuent de suivre la game à distance. Après tout, les deux cinéastes ont passé toute une année à observer le club nord-côtois de l’intérieur, immortalisant victoires et défaites, captant joies et peines, filmant le quotidien de si près qu’ils ont fini par "se fondre avec la tapisserie".

Pour en arriver à ce degré d’intimité, à obtenir le sésame qui ouvre les portes étanches du monde du hockey, on imagine qu’il leur a fallu beaucoup patiner. Tout s’est pourtant joué dès le contact initial. Stéphane Thibault se rappelle sa première visite sur la Côte-Nord: "J’y étais allé seul. J’avais fait la rencontre du conseiller municipal et du directeur-gérant. On m’avait invité dans le grand restaurant de Baie-Comeau. Là, on m’avait dit: "Tu vas être le troisième coach de l’équipe, tu profiteras d’un accès absolu.""

Pour éviter tout malentendu, les cinéastes ont tout de suite fait connaître leurs intentions. D’abord, expliquer la démarche – "on n’est pas venus faire un film corporatif sur le Drakkar" -, et ensuite, poser quelques balises – "pas question d’intervenir entre les deux parties même si chacun sait qu’on sait tout". Conditions acceptées et pleinement assumées par l’entraîneur Éric Dubois. "Il entrait en fonction au moment où on commençait la production, mais il a accepté d’être notre allié et nous a donné carte blanche", se souvient Isabelle Lavigne. La suite des événements, fertile en rebondissements, est condensée dans Junior.

POURQUOI LE HOCKEY?

Leur feuille de route est marquée du sceau de l’éclectisme. Il a participé à La Course Europe-Asie en 1990 et a été réalisateur aux Francs-tireurs; elle a animé l’émission 2/3 monde au canal Vox et a dirigé des ateliers de production documentaire au Caire. Et le hockey là-dedans? Pour deux réalisateurs s’intéressant à la mécanique sociale contemporaine, le sujet ne manquait pas de substance. "On s’était dit que ce serait intéressant de faire un film sur le sport professionnel, explique Stéphane Thibault. On peut retrouver là les grandes tendances de notre société." "On voulait suivre l’entrée dans le monde adulte de jeunes hommes de 15 ou 16 ans, poursuit Isabelle Lavigne. Tu es à l’âge où tu te définis en tant qu’être humain, et le monde du hockey te sculpte avec ses valeurs: le vedettariat, l’attrait de l’argent…" Au hockey comme dans la vie, quoi.

L’originalité du film tient à un parti pris structurel audacieux: parler de gouret pendant une heure et demie sans montrer une seule séquence de jeu. "On a quand même eu un doute, concède Isabelle Lavigne, alors on a fait filmer tous les matchs par la télévision communautaire. Mais quand on en a inclus des segments au montage, ça ressemblait aux Héros du samedi."

Dans leur volonté de coller le plus possible au réel, les réalisateurs ont conçu un film qui se fout un peu de la rectitude politique. Les larmes et les gros mots n’ont pas été retranchés au montage. "Sans vouloir créer de scandale, on s’est dit qu’on ne se censurerait pas, explique Stéphane Thibault. Les gars ont vu le film. Ils assument tout ce qu’ils ont dit." Voilà, en tout cas, qui nous change du discours aseptisé des joueurs de la Sainte-Flanelle…

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JUNIOR

Pour les porte-couleurs du Drakkar de Baie-Comeau, le hockey est bien plus qu’un simple jeu. Pour les garçons qui rêvent d’une carrière dans la LNH, chaque match est capital. Très peu d’entre eux accéderont à l’étage supérieur. L’obligation de performer, pesante, touche à la fois les joueurs et le personnel d’entraîneurs, condamnés à gagner pour satisfaire aux exigences des actionnaires. Avec sa caméra curieuse et scotchée sur les vraies affaires, Junior nous fait découvrir les coulisses du hockey. Bravement, le récit se construit à l’extérieur de la patinoire. On passe beaucoup de temps dans le vestiaire et dans le bureau du coach, Éric Dubois, véritable sosie de Tony Soprano… Dans la façon de tourner, on sent une empathie indéniable. Résultat, le spectateur observe non pas avec l’oeil du voyeur, mais plutôt avec celui du témoin privilégié. Pour fans de documentaires sportifs portés sur la chose sociale. Les amateurs qui cherchent à voir des joueurs en action devront s’en remettre à RDS.

À voir si vous aimez /
Les Sags, 4125, rue Parthenais, d’Isabelle Lavigne, Les Justes, de Stéphane Thibault et Karina Goma