Nous, les vivants : L'insoutenable légèreté de l'être
Cinéma

Nous, les vivants : L’insoutenable légèreté de l’être

Nous, les vivants (Du Levande), de Roy Andersson, célèbre en une cinquantaine de tableaux nos splendeurs et nos misères.

Les grands cinéastes ne courent malheureusement pas les rues. Et lorsque ceux-ci livrent leurs oeuvres au compte-gouttes, comme c’est le cas avec Roy Andersson (quatre longs métrages depuis 1970), c’est avec joie que l’on se précipite au cinéma.

Cette fois, l’attente aura duré sept ans. Une attente au cours de laquelle la simple évocation du précédent film de ce réalisateur de pubs, Chansons du deuxième étage, faisait rejaillir à l’esprit les images apocalyptiques de cette oeuvre envoûtante.

Un gros homme couvert de cendres, une vieille femme dont la robe de chambre découvrait un corps flétri, un fou hurlant sa poésie, bref, des tableaux inoubliables annonçant douloureusement la fin d’un monde.

À peine Nous, les vivants aura-t-il commencé que déjà le ravissement se sera inscrit sur le visage du spectateur, trop heureux de reconnaître dans ce versant positif de Chansons du deuxième étage l’unique signature d’Andersson.

Dans cette ode aux bonheurs et malheurs de l’homme, le réalisateur suédois, qui rejette une fois de plus une structure narrative classique, propose une suite de tableaux composés avec la minutie d’un peintre.

Ces plans-séquences fixes aux teintes verdâtres, on prendra plaisir à en explorer les moindres recoins afin d’en découvrir toute la richesse. Et, surtout, ce qu’ils révèlent discrètement sur ces présences presque fantomatiques d’hommes et de femmes aux visages blafards qui les hantent.

Une femme bien en chair (Elisabet Helander) tentant de plaquer son motard de petit ami qui, ô surprise, se met à chanter son mal de vivre en regardant la caméra. Cette parenthèse musicale fantaisiste se poursuit avec ce joueur de tuba que son voisin du dessous voudrait bien faire taire.

De ce fait banal, Andersson crée par la suite un plan aux multiples cadrages alors qu’un homme observe de son balcon ce qui se déroule dans ces deux appartements.

Inspiré par Le Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel, Andersson se plaît à illustrer les rêves de ses personnages peu après que ceux-ci les ont racontés, tel celui de cette jeune fille (Jessica Lundberg) qui épouse une rock star (Eric Bäckman).

Dans un savant alliage de baroque, d’insolite et de loufoque, Andersson signe une admirable mosaïque où le moindre petit geste de l’homme se transforme en un grand moment de cinéma.

À voir si vous aimez /
Chansons du deuxième étage, de Roy Andersson; Le Fantôme de la liberté, de Luis Buñuel; Continental, un film sans fusil, de Stéphane Lafleur