Gus Van Sant : Garçons de rêve
Cinéma

Gus Van Sant : Garçons de rêve

Dans Paranoid Park, le réalisateur Gus Van Sant crée un cauchemar fictif dans un environnement bien réel.

Gus Van Sant s’est toujours intéressé à l’exubérance de la jeunesse. Toutefois, l’omniprésence de la mort s’avère une récente fascination chez lui. Avec Paranoid Park, le cinéaste termine en effet une suite de films sur la dernière sortie de scène. Troisième de cette série, Paranoid Park ne s’appuie pas sur des faits réels comme Elephant (la tuerie de Columbine) et Last Days (les derniers jours de Kurt Cobain), mais il aurait très bien pu le faire.

"Ce n’est pas tant la violence propre à la vie et à la mort, mais plutôt la violence comme extension de la mort dont je traite, expliquait le réalisateur rencontré au Festival international du film de Toronto. Je trouve intéressant le contraste entre la mort et l’exubérance de la vie."

"Elephant, Last Days et Paranoid Park forment une sorte de trilogie non officielle, explique-t-il, sauf que les volets apparaissent dans un ordre différent, ou plutôt dans le désordre. Je voulais tourner Last Days tout de suite après la mort de Kurt Cobain, mais j’avais le sentiment que les blessures étaient encore trop fraîches et qu’il était encore beaucoup trop tôt pour que quiconque fasse un film sur ce qui venait de se passer. De plus, personne n’aurait voulu financer le film, alors je l’ai abandonné."

BOUCLER LA BOUCLE

Au début de sa carrière, Van Sant signait des films alternatifs mais accessibles qui semblaient s’adresser à une jeunesse insatisfaite. My Own Private Idaho, Even Cowgirls Get the Blues, To Die For, Drugstore Cowboy faisaient partie d’une génération de films déphasés, opiniâtres et expérimentaux sans pour autant être du cinéma expérimental. Cependant, les plus grands succès de Van Sant étaient des films médiocres de facture conventionnelle écrits par d’autres et tournés pour de grands studios (Finding Forrester, Good Will Hunting). Et le seul film d’auteur que Van Sant tourna à cette époque ne ravit pas tout à fait le public et la critique, soit le remake plan par plan du Psycho d’Alfred Hitchcock.

Ce fut une période sombre pour les cinéphiles qui s’ennuyaient de l’effervescente originalité se dégageant des premières oeuvres de Van Sant. Ce fut aussi une époque où la tendance était aux films mettant en scène de jeunes personnages gentils et proprets.

Puis, en 2002, Van Sant tourna Gerry. Il sembla alors que le réalisateur avait enfin bouclé la boucle. Van Sant revient aujourd’hui à la réalisation de films pour un public restreint souhaitant plonger dans un autre univers.

REGARDER PAR-DESSUS LA RAMBARDE

Dans son dernier film, Van Sant s’intéresse à un ado timide qui préfère observer les skaters plus âgés que lui plutôt que de prendre sa place parmi eux, et qui tuera accidentellement un gardien de sécurité.

"C’est ça, la vie, confie Van Sant. L’adolescence, c’est certainement comme ça, tout comme l’école secondaire. Il y a des jeunes qui errent dans leur propre bulle, alors que d’autres sont dans l’action. Je trouve que ça ressemble à ce qui se passe à l’hôtel Four Seasons de l’autre côté de la rue. Je m’y promenais tout à l’heure en évitant les gens. Dans l’ascenseur, il y avait ce pégreux et sa potiche, et soudain celui-ci s’est écrié: "C’est tranquille ici, personne ne parle, c’est quoi le problème?" Eh bien, moi, je suis comme ça. Je regarde toujours par-dessus la rambarde. De cette façon, on a accès à toutes sortes de choses, aux secrets des gens, comme à l’école secondaire."

DANS UN ENDROIT RÉEL AU BON MOMENT

Van Sant avoue que le fait de tourner des films inspirés de faits réels vient de son goût de "regarder par-dessus la rambarde", de son désir de raconter des histoires propres à notre culture à partir de points de vue inattendus.

"Je crois que je n’ai jamais emprunté d’éléments aux actualités, ce sont plutôt des événements inspirés de faits vécus. Drugstore Cowboy était basé sur l’histoire de vrais bandits toxicomanes. Idaho, c’est l’histoire d’un vrai gars. Même chose pour To Die For. Good Will Hunting était inspiré de gens que Matt Damon et Ben Affleck avaient connus. Even Cowgirls Get the Blues, enfin, je ne pense pas, mais c’est l’histoire d’une vraie personne. Quant à Psycho, c’est basé sur un événement réel cinématographiquement parlant, lequel était originellement inspiré d’une vraie personne."

Pour Paranoid Park, Van Sant a choisi non pas un événement réel, mais un décor réel où il pouvait explorer la vérité d’un drame humain: "C’est le même procédé. Avant, il y avait des journalistes et des auteurs de fiction qui écrivaient dans leurs champs respectifs. De nos jours, c’est le mélange des genres. Un auteur écrivant un récit journalistique y ajoute des éléments fictifs afin de capter l’attention du lecteur. De plus en plus, l’écriture dramatique emprunte aux techniques journalistiques. La vérité qui émane du drame peut réellement influencer notre façon de comprendre la réalité. C’est pour cela qu’il est permis de faire un téléfilm peu après les événements de Columbine ou la mort de Kurt Cobain… J’ai toujours essayé de travailler de façon à toucher monsieur Tout-le-monde et ainsi tendre vers l’universel, car c’est comme cela que je conçois le pouvoir de l’art", conclut Gus Van Sant.