La Ligne brisée : L'oeil du matou
Cinéma

La Ligne brisée : L’oeil du matou

Dans La Ligne brisée, de Louis Choquette, Guillaume Lemay-Thivierge et David Boutin enfilent les gants de boxe. Entretien avec les acteurs et le réalisateur.

Lorsqu’on le rencontre, Danny Demers est un boxeur sans envergure mais, cinq ans plus tard, il se retrouve champion du monde. La fulgurante trajectoire du personnage n’est pas sans rappeler celle de l’acteur l’interprétant, Guillaume Lemay-Thivierge. Il y a cinq ans, après s’être fait connaître à un jeune âge, le Monsieur Émile du Matou était presque devenu un has-been. Aujourd’hui, c’est évidemment une tout autre histoire, Lemay-Thivierge ayant été en vedette dans les deux films québécois les plus populaires de la dernière année, Nitro et Les 3 p’tits cochons, qui lui ont par ailleurs valu une double nomination en vue de la prochaine soirée des Jutra.

"Je suis content de ce qui m’arrive, mais dans ma tête, c’est pas un miracle, considère le comédien. Je l’ai pas volé à personne, je l’ai travaillé. J’ai la chance d’avoir une gueule qui passe à l’écran, mais le reste, c’est beaucoup d’effort et d’acharnement."

L’énergie et l’enthousiasme contagieux de Lemay-Thivierge contribuent sûrement aussi à son succès. "Pourquoi je suis toujours enthousiaste comme ça? C’est que c’est jamais la même chose. La Ligne brisée, ça a pris trois mois de ma vie à m’entraîner comme un fou, à me tenir dans des gyms de boxe, à voir des combats, à côtoyer des boxeurs … J’ai changé de vie! C’est ça que j’aime, c’est pour ça que je suis aussi passionné pour chaque projet. C’est le même métier, mais le défi est toujours différent."

LE DEFI

Le destin de Sébastien Messier, le boxeur qu’interprète David Boutin, contraste grandement avec la Cinderella story du personnage de Lemay-Thivierge. Promis au championnat du monde, Messier dérape à la suite d’un événement tragique et passe les années suivantes à boire et à se bagarrer dans les bars. Frustré de voir Demers, jadis son faire-valoir, se retrouver au sommet alors que lui touche le fond, Messier décidera de reprendre l’entraînement et de se mesurer à son ancien ami sur le ring.

Boutin en émule de Dave Hilton? Certes, on l’a vu jouer les durs dans Hochelaga et Histoire de pen, mais il demeure tout de même étonnant de voir le gentil docteur de La Grande Séduction casser des gueules!

"Ça me rend heureux, justement, confie Boutin, d’avoir la chance de ne pas être cantonné dans un style. Le plaisir pour un acteur, c’est de se retrouver dans des univers différents. Quand je reçois un scénario, je me demande: qu’est-ce qui va être le fun à travailler là-dedans? Jouer un boxeur, c’est assez loin de moi, et c’est d’autant plus intéressant."

LE RING INTERIEUR

Bien que la boxe soit au centre du récit, La Ligne brisée est avant tout une histoire d’amitié virile, où deux vieux chums en viennent à se détester lorsque la dynamique entre eux est renversée par les événements. Le film explore entre autres le syndrome de l’imposteur, qui fait que même après avoir remporté le championnat du monde, Demers se sent toujours inférieur à Messier. Ceci a exigé une tout autre forme de jeu de la part de Lemay-Thivierge, habitué à interpréter des personnages sûrs d’eux. Il s’en est surpris lui-même: "Quand j’ai vu le résultat, je ne me trouvais pas à la hauteur… Jusqu’à ce que je comprenne que je me faisais avoir par le personnage; c’est lui qui ne se sent pas à la hauteur."

Boutin, pour sa part, défend le rôle d’une tête brûlée, un mâle alpha qui demeure arrogant même après être passé de héros à zéro: "C’est un gars qui est ambitieux mais amer, qui est un peu dans l’autodestruction, ce qui peut nous le rendre antipathique. Mais mon défi, en tant qu’acteur, c’est d’arriver à ce qu’il ne soit pas juste ça, qu’on comprenne que c’est un être humain qui se débat à essayer de se remettre les deux pieds sur terre."

Le côté plus vulnérable de Messier ressort particulièrement dans sa relation avec une physiothérapeute, jouée par Fanny Mallette. "On voit un tout autre gars, estime Boutin. Il a beau être très macho, dans le fond, il peut être sincère et amoureux. Je trouvais ça l’fun qu’on voie qu’avec une fille, c’est plus le même petit crisse de baveux!"

DU PETIT AU GRAND ECRAN

Louis Choquette, le réalisateur de La Ligne brisée, a fait ses armes à la télévision avec des séries comme 2 frères, Les Aventures tumultueuses de Jack Carter et Temps dur. Les téléséries de ce type devenant de plus en plus cinématographiques, passer du petit au grand écran semble découler d’une progression logique.

"Je fais partie d’une génération de réalisateurs qui ont eu ce désir d’amener des éléments cinématographiques à la télé, donc le clivage entre la télévision et le cinéma a effectivement diminué, confirme Choquette. Mais ça ne veut pas dire que c’est le même langage. Le simple fait qu’au cinéma, t’as un auditoire captif, qui ne peut pas se promener d’un canal à l’autre, ça fait quand même une différence dans ta façon de raconter une histoire."

Ainsi, La Ligne brisée adopte une trame narrative non linéaire, où deux périodes chronologiques se croisent. Cette construction, amorcée lors de l’écriture du scénario avec Michelle Allen (Le 7e round) et peaufinée au montage, fait que notre perception des personnages change à travers le film, alors qu’on en apprend de plus en plus sur leur passé commun.

"On voulait être sur ce mince fil-là, éprouvé maintes fois au cinéma. 21 Grams est peut-être l’exemple ultime. Ça se peut donc qu’à un moment donné, le spectateur soit perdu, mais ça ne dure pas assez longtemps pour que ce soit dérangeant, juste assez pour qu’il ait le plaisir de rester aux aguets."

En salle le 7 mars