Délice Paloma : Souvenirs d'Afrique
Cinéma

Délice Paloma : Souvenirs d’Afrique

Dans Délice Paloma, écrin coloré et ensoleillé taillé sur mesure pour elle, Biyouna incarne avec superbe madame Aldjéria, irrésistible magouilleuse de première qui s’autoproclame bienfaitrice nationale.

S’il admet un lien de parenté entre Pedro Almodovar et lui en raison de leur univers féminin, Nadir Moknèche, réalisateur français d’origine algérienne, aimerait toutefois passer à autre chose. "Je ne suis pas le seul cinéaste qui parle des femmes, explique-t-il au bout du fil. Mon univers à moi est très méditerranéen, ne serait-ce que la lumière, la végétation, la mer… Dans Délice Paloma, le paysage est très important. M’éloigner de ce paysage où j’ai passé ma jeunesse me paraît très difficile. Aussi, je trouve qu’il y a suffisamment de gens qui font des films qui se passent en France; il y a donc un acte un peu militant dans essayer de montrer les Algériens et Alger."

Baigné de la lumière de juin, alors que Viva Laldjérie se passait sous la pluie de janvier, Délice Paloma met en scène un personnage plus grand que nature, madame Aldjéria (Biyouna), une entremetteuse rêvant d’une retraite dorée. À travers ce personnage sympathique, Moknèche souhaitait esquisser une parodie du pouvoir, tout en mettant en relief le sentiment que ressentent les Algériens d’être mal aimés.

"Ce n’est pas mon point de vue, mais celui des personnages et le sentiment qu’ont les Algériens. C’est une sorte d’appel au pouvoir qui ne se rend pas compte que la population ne se sent pas protégée, ni bien traitée, ni aimée par l’État. Jusqu’aux attentats, l’armée n’avait pas son rôle de protéger la population; il y a donc un sentiment d’abandon. Lorsque vous avez ce sentiment, forcément, les gens de l’extérieur vous méprisent. Beaucoup de jeunes quittent le pays dans des conditions difficiles et pourtant, l’Algérie est un pays qui a de l’argent."

Narré par la voix chaude et graveleuse de Biyouna, Délice Paloma se raconte parallèlement en deux temps, avant et après l’emprisonnement de madame Aldjéria. "Je me suis dit qu’il n’y aurait pas de suspense, je voulais que le spectateur connaisse la fin afin qu’il s’intéresse aux personnages, à la ville. En même temps, je voulais montrer que quelque chose s’était passé en Algérie entre 2003 et 2006. En 2003, la magouille pouvait être très facile parce qu’on venait de traverser une période difficile; en 2006, on ne permettait plus aux petites gens de magouiller."

Cependant, malgré ce qui l’attend, la protagoniste, qui interpellera le spectateur à un moment du récit, gardera la tête haute. "C’est un personnage marginal, autant pour l’Algérie que pour toute autre société. Madame Aldjéria est une fille-mère dont le fils est né de père inconnu, ce qui est très difficile à assumer. Lorsqu’elle s’adresse à la caméra, c’est un message qu’elle envoie directement aux Algériens: "Et alors? Ne me jugez pas sur ce que j’ai fait." Pour elle, deux justices s’appliquent: madame Aldjéria a payé sa dette à l’État en prison, mais à sa sortie, elle est victime de la vengeance populaire. C’était très important pour moi de montrer que les gens sont peu compatissants envers les hommes et les femmes comme elle."

À voir si vous aimez /
Le Harem de Mme Osmane et Viva Laldjérie de Nadir Moknèche; Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini