L’Auberge rouge : Au rendez-vous de la mort joyeuse
L’Auberge rouge, de Gérard Krawczyk, se veut une relecture du film de Claude Autant-Lara qui mettait en vedette l’inoubliable Fernandel.
En 1833, un couple d’aubergistes de l’Ardèche fut guillotiné sous prétexte d’avoir assassiné et détroussé une cinquantaine de ses clients. Ce fait divers inspira Balzac, puis les cinéastes Jean Epstein (1923) et Claude Autant-Lara (1951). Durant des années, Christian Clavier et le producteur Christian Fechner (Les Bronzés) caressaient chacun de leur côté le rêve de revisiter le film d’Autant-Lara. Grâce à Josiane Balasko, choisie pour interpréter la fatale aubergiste, ils jetèrent leur dévolu sur Gérard Krawczyk lorsque vint le temps de trouver un metteur en scène.
"J’avais eu beaucoup de plaisir à tourner avec Gérard La vie est à nous, un joli film qui se passe en province, racontait l’actrice de passage à Montréal. Je savais qu’il pouvait aussi bien tourner des scènes d’action que diriger avec sensibilité des acteurs."
Associé instantanément à la série des Taxi, Krawczyk (prononcez Kravzique), qui a aussi réalisé L’Été en pente douce, n’en était pas à son premier remake. C’est donc dire qu’il ne ressentait pas de pression à marcher sur les traces d’Autant-Lara: "Aussi bien que Fanfan La Tulipe, dont j’ai fait le remake, expliquait-il, L’Auberge rouge a été populaire, mais il n’a jamais été un classique. Il n’y avait donc pas de dimension sacrée. Certains se choquent devant un remake. Pourquoi on n’aurait pas le droit de faire des remakes au cinéma alors que l’on reprend des opéras de Mozart et des pièces de Shakespeare? On ne refait pas la Joconde! C’est une relecture, tout simplement. Et moi, je suis un passeur d’histoires."
Le réalisateur poursuit: "Au moment de la guerre, le poids du clergé était très important, Autant-Lara désirait faire un film anticlérical. On a voulu faire une comédie et se moquer des gens qui traversent les âges avec la même morgue sans avoir appris du passé. Le truc que j’ai ajouté, c’est le bûcheron, symbolisant la classe ouvrière, qui revient toujours."
Bien qu’ils n’aient pas d’éthique, les aubergistes, dont le domestique noir surnommé le nègre ("un personnage très limite", de dire Krawczyk) a été remplacé par un muet faible d’esprit (Fred Épaud), sont capables d’amour.
"Mon personnage a une certaine morale, elle a peur de brûler en enfer, raconte Josiane Balasko, qui vient de terminer le tournage d’un téléfilm sur Françoise Dolto de Serge Le Péron, qui lui avait fait jouer Marguerite Duras dans J’ai vu tuer Ben Barka. Christian a voulu les rendre plus modernes en en faisant une famille unie qui a des problèmes d’argent. Je ne me trouve pas sexy comme on le prétend, mais je dois dire que le corset donne l’impression d’avoir des bonnets C."
Si plusieurs voient en L’Auberge rouge un produit estampillé Clavier-Fechner, Gérard Krawczyk a tout de même pu lui donner sa propre couleur, allant jusqu’à changer de saison – l’original se passait en hiver: "Je voulais qu’il y ait un écrin de conte fantastique pour cette histoire, dans le style de Tim Burton. Je souhaitais des décors âpres; pour les costumes, je me suis inspiré des caricatures de Daumier et du romantique allemand Gaspard Friedrich. C’est assez rare dans une comédie d’avoir cette possibilité."
Réunissant trois Bronzés, Clavier, Balasko et Gérard Jugnot, L’Auberge rouge évoque par son irrévérence un grand succès de la bande du Splendid ("qui fait partie du patrimoine national", assure le réalisateur, provoquant un éclat de rire chez l’actrice).
"Forcément, ça se rapproche un peu du Père Noël est une ordure, qui était une histoire épouvantable avec des personnages tous plus épouvantables les uns que les autres et où l’on riait beaucoup, même s’il y avait un meurtre et que l’on découpait le cadavre en morceaux! Dans L’Auberge rouge, il n’y a pas d’ambiguïté: on est dans la farce, dans le conte", conclut Josiane Balasko, que l’on verra avec sa fille Marilou Berry (Comme une image) dans Cliente, sa prochaine réalisation.
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L’Auberge rouge de Claude Autant-Lara; Le père Noël est une ordure de Jean-Marie Poiré; The Addams Family de Barry Sonnenfeld
L’AUBERGE ROUGE
Si L’Auberge rouge de Claude Autant-Lara oscillait joyeusement entre la comédie, de par le jeu de Fernandel en moine naïf, et le film d’horreur, de par les présences sinistres de Françoise Rosay et Carette en aubergistes assassins, pas de doute, à l’enseigne de Gérard Krawczyk, on se vautre dans la grosse farce noire. Amateurs de finesse et de subtilité, s’abstenir.
Forte d’un emballage léché avec ses couleurs pimpantes, lesquelles mettent en valeur ladite auberge et ses vallons verdoyants ainsi que les costumes semblables à un croisement entre la mode de la Restauration et la vitrine d’un pâtissier français, la nouvelle mouture respire la bonne humeur contagieuse d’un café-théâtre. Par ailleurs, la longueur et la fixité de certaines scènes renforcent l’aspect "théâtre des variétés" de l’ensemble.
Respectant sensiblement les dialogues d’Autant-Lara, d’Aurenche et de Bost, tels ceux de la fameuse confession, Christian Clavier et Michel Delgado ont humanisé le couple d’aubergistes, incarné avec toute la truculence qu’on leur connaît par Clavier et Josiane Balasko, au profit des voyageurs qu’on enverrait volontiers aux cochons. Ces derniers, plus présents que dans la version de 1951, sont entre autres interprétés avec entrain par Urbain Cancelier (le Collignon d’Amélie Poulain), Sylvie Joly et François-Xavier Demaison (qui prêtera ses traits à Coluche dans le film d’Antoine de Caunes).
Et Gérard Jugnot dans tout ça? Criant et gesticulant sans cesse, il donne très souvent l’impression de vouloir échanger sa soutane contre son costume de père Noël ordurier. Pas toujours facile de se réinventer…