61e Festival de Cannes : Des histoires de familles
Le 61e Festival de Cannes se poursuit jusqu’à dimanche. Petit survol de la cuvée 2008.
Cette année, alors que la presse se pâme devant les futurs rejetons du couple Jolie-Pitt, les réalisateurs semblent s’être donné le mot pour faire passer aux familles de bien mauvais quarts d’heure.
Certes, The Exchange de Clint Eastwood, dernier film vu avant d’aller sous presse, n’est peut-être pas son meilleur, mais par sa très belle facture classique, son récit déchirant d’une mère de famille monoparentale (formidable Angelina Jolie) dont le fils est kidnappé et sa critique courageuse des forces policières corrompues de Los Angeles, il mérite bien sa place en Sélection officielle.
Ce n’est toutefois pas le cas de Two Lovers de James Gray (We Own the Night), qui revient pour une deuxième année de suite à Cannes avec ce drame romantique relatant l’amour impossible d’un bipolaire (solide Joaquin Phoenix) pour la maîtresse paumée d’un homme marié (Gwyneth Paltrow, correcte) alors qu’il entretient une relation avec une jeune fille de bonne famille (Vinessa Shaw, juste). Une chronique familiale doucement douloureuse dont la fin s’avère haletante et émouvante.
Dans Blindness du Brésilien Fernando Meirelles, une épidémie de cécité blanche fait ressortir le meilleur et le pire de la grande famille humaine. En mère Teresa des temps modernes, Julianne Moore s’avère lumineuse. Remarquable sur le plan esthétique, mais ne possède pas la force de son Cidade de Deus.
Celui qui avait produit ce film, Walter Salles, signe avec Daniela Thomas une peinture de milieu naturaliste où quatre frères issus de pères différents et leur mère enceinte d’un cinquième enfant (Sandra Corveloni, crédible) tentent de se faire une place à Sao Paulo. Intéressant, bien que les personnages demeurent opaques.
La famille dysfonctionnelle est aussi au coeur d’Un conte de Noël, qui marque le retour d’Arnaud Desplechin et de sa merveilleuse famille d’acteurs. Dans ce conte à l’humour sardonique où l’on se dit "je ne t’aime pas" sur un ton badin, Mathieu Amalric est sublime en fils maudit, Catherine Deneuve, impériale en mère indigne et Emmanuelle Devos, délicieuse en témoin amusé de leurs drames. Un petit bijou truffé de répliques assassines et de procédés narratifs imaginatifs que l’on retrouvait dans Rois et Reine.
Autre retour remarqué que celui de Woody Allen qui expose avec bonne humeur et une certaine pudeur ses fantasmes de coquin septuagénaire en s’attachant aux tribulations de deux Américaines en Espagne (Rebecca Hall, attachante, et Scarlett Johansson, plastique) dans Vicky Cristina Barcelona (hors compétition). Aux côtés du plus que sexy Javier Bardem, Penélope Cruz, magnifique en amoureuse hystérique, prouvera aux Américains ne l’ayant pas vue chez Almodovar qu’elle est plus qu’une belle gueule. Une jolie carte postale de Barcelone qui fait plaisir à recevoir.
Basé sur le livre de Roberto Saviano, dont la tête est mise à prix, Gomorra de Matteo Garrone parle d’une famille pas ordinaire: la Camorra. Une oeuvre chorale de prime abord fascinante par son incursion réaliste dans la mafia italienne mais qui finit par s’éparpiller à force de s’intéresser à trop de personnages à la fois.
Une autre famille particulière fait l’objet de Serbis, où le Philippin Brillante Mendoza s’attache au quotidien d’une famille habitant le cinéma porno Family, où sévit la prostitution. On y voit notamment une scène de fellation qui n’impressionne guère et des individus montant ou descendant sans cesse les escaliers. Le bruit de la rue y est abrutissant. Pas du tout envie de crier au génie.
Enfin, si Luc et Jean-Pierre Dardenne signent avec Le Silence de Lorna un portrait de femme d’une justesse remarquable, les frangins doublement palmés risquent de se faire coiffer à l’arrivée par l’un des films les plus originaux de la compétition, le documentaire d’animation sur les massacres de Sabra et Chatila Waltz with Bashir de l’Israélien Ariel Folman, qui, bien que n’évitant pas l’effet têtes parlantes, propose des moments lyriques et une finale cauchemardesque et percutante. Qui sait, les Dardenne verront peut-être la jeune révélation Arta Dobroshi ou Jérémie Renier, bouleversant en toxicomane, remporter un prix d’interprétation…
UN QUÉBÉCOIS À CANNES
Dix ans après être venu présenter Un 32 août sur terre en sélection officielle à Cannes, Denis Villeneuve se pointe à la Semaine de la critique avec son court métrage Next Floor, d’après un scénario de Jacques Davidts (Polytechnique): "Je me souviens que la première fois que je suis venu ici, il y avait un énorme Godzilla sur la façade d’un hôtel. Ça résume bien ce qu’est le Festival: un gros monstre qui te mange. Rien n’a changé, on y trouve toujours le pire et le meilleur du cinéma."
Tourné en juillet 2007 et terminé deux semaines avant le Festival, Next Floor met en scène 11 convives gloutons et un corps de valets attentionnés, tous possédant des gueules incroyables, au cours d’un dîner aussi décadent que mouvementé… "Next Floor, c’est mon meilleur film! lance le réalisateur. J’ai beaucoup d’affection pour lui. En le voyant, la monteuse Sophie Leblond m’a dit: "Enfin, ça te ressemble!""
C’est grâce à la productrice Phoebe Greenberg que Next Floor a vu le jour. Une offre qui est arrivée à point pour Villeneuve qui songeait à abandonner le cinéma: "À l’origine, c’était l’idée de faire un film dans un building sur le point d’être détruit, qu’il y ait un banquet et que ce soit théâtral."
Hormis les "next floor" lancés par l’inquiétant Jean Marchand, tout ce que l’on y entend, ce sont d’étranges et incongrus bruits de mastication et de mets que l’on découpe. Responsable des remarquables effets sonores avec Bernard Gariépy Strobl, Sylvain Bellemare révèle: "Aucune prise de son n’a été faite durant le tournage, tout ce que l’on entend a été fait en postsynchro avec d’autres acteurs."
"L’idée m’est venue du documentaire sur Fellini Je suis un grand menteur, où on le voyait donner ses indications à ses comédiens sans qu’il y ait de prise de son. Ça m’a permis de diriger les acteurs, dont plusieurs issus du théâtre et d’autres sans expérience de jeu, pendant que la caméra roulait", explique Villeneuve, qui rêve maintenant de réaliser un court métrage entre chacun des longs métrages qu’il tournera.
De facture recherchée et très ambitieux, Next Floor, dont l’atmosphère insolite, lugubre et baroque évoque Roy Andersson et György Pálfi, a tout pour séduire les cinéphiles d’ici et d’ailleurs.