Angel : Pauvre petite fille riche
Cinéma

Angel : Pauvre petite fille riche

Angel, de François Ozon, raconte la montée et la chute d’une jeune romancière capricieuse.

S’il faut en croire Apichatpong Weerasethakul, le cinéma d’aujourd’hui ne serait pas excitant et lui-même serait nostalgique du cinéma des années 60 et 70. Qu’en est-il pour François Ozon dont le somptueusement kitsch Angel s’inspire des mélos hollywoodiens en technicolor?

"Je trouve le cinéma d’aujourd’hui vivant et vivace, surtout grâce aux nouvelles technologies, s’empresse de répondre le cinéaste joint à Paris où il travaille au montage de Ricky, lequel met en scène Sergi Lopez et Alexandra Lamy dans la peau de parents d’un bébé spécial. Je ne suis pas nostalgique, sauf qu’en tant que cinéphile, j’ai de la mémoire pour les films que j’ai vus plusieurs fois enfant. Cela sonne sans doute prétentieux, mais je dirais qu’il s’agit d’une relecture postmoderne où j’utilise les codes des mélos de cette époque avec un regard à la fois ironique et tendre."

Dans le personnage d’Angel, incarné par Romola Garai, l’on retrouve Scarlett O’Hara et l’impératrice Sissi, héroïnes ayant marqué l’enfance de plusieurs cinéphiles: "J’avais envie de retrouver ces héroïnes, qui sont à la fois victimes et maîtresses de leur destin, et de les faire vivre de manière ludique, comme un enfant qui joue à la poupée, en leur enfilant de belles robes et en leur faisant de jolies coiffures."

Celui qui décrit Angel comme une vieille copine dont les ratés amènent le spectateur à s’interroger sur son destin poursuit: "En choisissant d’illustrer le destin d’une femme de lettres, comme dans Swimming Pool, je signe un autoportrait déguisé. Contrairement à celui de l’écrivain, le travail du cinéaste en est un d’équipe… et aussi, une femme, c’est plus agréable à regarder."

Film sur la création, Angel porte également en lui une critique du culte de la personnalité: "Aujourd’hui, nous sommes témoins de la consécration et du succès foudroyant des stars de la télé-réalité, mais ce succès repose sur de mauvaises bases, ce qui provoque rapidement leur effondrement. Angel est devenue un produit de son époque; n’ayant jamais remis en question son talent, elle n’a pu s’adapter au changement apporté par la Grande Guerre."

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Gone with the Wind de Victor Fleming, Sissi d’Ernst Marischka, les romans d’Elizabeth Taylor

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ANGEL

Campé dans l’Angleterre édouardienne, Angel est l’adaptation libre, François Ozon ayant adouci le caractère de certains personnages de même que le ton moqueur de la narration, du roman éponyme d’Elizabeth Taylor (Mrs. Palfrey at the Claremont).

Impétueuse fille d’épicier à l’imagination débordante, Angel (délicieuse Romola Garai doublée par la non moins exquise Ludivine Sagnier dans la version française) rêve d’être romancière. Bientôt, elle rencontre un éditeur (Sam Neil, très classe) qui fait d’elle la coqueluche littéraire de Londres. À la grande surprise de la femme de l’éditeur (Charlotte Rampling, impériale), qui doute du réel talent de cette Barbara Cartland avant le temps.

Le mélodrame, Ozon connaît bien; rappelez-vous le poignant Le Temps qui reste. Or, dans Angel, exit la sobriété et le ton intimiste. S’inspirant des mélodrames à grand déploiement des années 30 et 40, le cinéaste signe un film au kitsch assumé.

Ozon y mise audacieusement sur un personnage féminin à la fois tyrannique, excessif et candide, sorte de croisement entre Scarlett O’Hara et l’impératrice Sissi, pour lequel on finit inévitablement par craquer, sur des scènes extérieures tournées en studio où l’on semble souligner l’écran derrière les acteurs et sur des couleurs criardes frôlant le mauvais goût.

Se retrouve dans la distribution prestigieuse d’Angel l’excellente Lucy Russell, qui interprète Nora, secrétaire personnelle d’Angel et soeur d’Esmé (Michael Fassbender), peintre ténébreux et grand amour d’Angel. Par son jeu sensible et nuancé, Russell apporte une dimension émouvante au récit et à la relation quelque peu ambiguë entre Nora et Angel, tandis que la présence physique de Fassbender ajoute un je ne sais quoi d’animal à l’ensemble. À l’instar du jouissif 8 femmes, Angel s’avère un divertissement coloré et somptueux qui se laisse regarder avec un plaisir que l’on n’oserait dire coupable.