Festival International du Film de Toronto (TIFF) : Extension du domaine de la lutte
Cinéma

Festival International du Film de Toronto (TIFF) : Extension du domaine de la lutte

Si le Festival International du Film de Toronto, TIFF pour les intimes, a commencé dans la guimauve, quelques films "césarisables" et "oscarisables", dont le récipiendaire du Lion d’or, ont ravi les cinéphiles.

Une semaine s’est écoulée depuis la soirée d’ouverture du TIFF où fut présenté Passchendaele de Paul Gross, une Minute du Patrimoine de deux heures pompeuse et d’un sentimentalisme dégoulinant où le jeu de Caroline Dhavernas est sans doute l’un des rares éléments positifs. Pauvres soldats canadiens…

Une semaine, c’est bien assez pour faire oublier ce qui a fait vibrer la fibre nationaliste de la presse canadienne, mais bien peu pour voir tout ce que le TIFF propose, et ce, même si la programmation de cette année ne passera sans doute pas à l’histoire, pas plus que celle de la Mostra s’il faut en croire la déception du président du jury Wim Wenders.

Ce dernier a couronné The Wrestler de Darren Aronofsky, les autres films lui apparaissant indignes de cet honneur, privant avec regret Mickey Rourke d’un prix qu’il aurait grandement mérité parce que le règlement interdit de donner au film ayant récolté le Lion d’or un prix d’interprétation. Un Oscar, peut-être?

"Je n’ai pas vu la version finale du film, confiait la femme du réalisateur Rachel Weisz lors d’une table ronde pour The Brothers Bloom de Rian Johnson (Brick), une comédie décalée sur fond d’arnaque qui ressemble à du sous-Wes Anderson. Je peux vous dire cependant que Mickey Rourke y est extraordinaire… mais ça, on le savait déjà!"

Comportant des scènes de lutte éprouvantes, The Wrestler s’attache au destin d’un lutteur ayant connu la gloire dans les années 80 qu’interprète le bouleversant Mickey Rourke, qui fut si beau à une certaine époque et qui livre ici sans pudeur son visage ravagé et son corps massif fatigué. Sans jamais verser dans le pathos, le scénario de Robert Siegel raconte avec grande sensibilité les difficultés de cet homme qui tente de se lier d’amitié avec une strip-teaseuse (Marisa Tomei) et de renouer avec sa fille (Evan Rachel Wood). Pour sa part, Aronofsky signe une mise en scène très efficace mais discrète, presque naturaliste, laquelle donne toute la place aux acteurs.

PORTÉE PAR LA GRÂCE

Parlant de grande interprétation et de destin difficile, l’un des plus beaux films présentés au TIFF est certainement Séraphine de Martin ProvostYolande Moreau incarne le rôle de sa vie. Imaginez la Félicité d’Un coeur simple de Flaubert à la rencontre de Camille Claudel. Les rumeurs à propos d’une pluie de César vont déjà bon train.

Séraphine raconte le triste destin de la peintre naïve Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, qui fut découverte par hasard par le collectionneur et découvreur du Douanier Rousseau Wilhelm Uhde (Ulrich Tukur, solide) alors qu’elle était femme de ménage peu avant la Première Guerre mondiale. Malheureusement, l’Histoire joua contre Séraphine qui ne connut pas la gloire qu’elle aurait méritée.

Magnifique film au rythme contemplatif, aux mouvements de caméra très discrets donnant lieu à de superbes paysages et natures mortes, Séraphine permet enfin à Yolande Moreau de montrer toute l’ampleur de son talent. "C’est comme si Séraphine nous avait accompagnés durant le tournage, nous avons vraiment été touchés par la grâce", confiait le réalisateur en entrevue. Grâce: on ne pouvait choisir meilleur mot pour décrire Séraphine.

LES 400 COUPS DE FALARDEAU

Un autre acteur, tout jeune encore, n’a certainement pas fini de faire parler de lui: Antoine L’Écuyer. Secondé par la lumineuse Suzanne Clément et le touchant Daniel Brière, le petit-fils du grand Guy L’Écuyer est une véritable révélation dans C’est pas moi, je le jure!, de Philippe Falardeau, avec son regard allumé et son bagout à la Jean-Pierre Léaud gamin. S’étant approprié de façon personnelle les romans de Bruno Hébert (atténuant la folie du garçon, par exemple), le réalisateur de Congorama signe un film familial rempli d’émotions, de finesse et d’esprit qui ne joue pas du tout la carte de la nostalgie des années 60. Un beau passage du cinéma d’auteur au cinéma populaire.

SEXE, DROGUE ET ROCK’N’ROLL

À l’instar du Festival de Cannes, le TIFF se permet d’offrir au menu des films commerciaux, indignes de tout festival international au dire de certains critiques, lesquels permettent parfois des moments de plaisir coupable entre deux films plus hermétiques. C’est le cas du sympathique et amusant Zack and Miri Make a Porno de Kevin Smith.

Gros clin d’oeil au tournage de Clerks, premier long métrage de Smith, cette comédie romantique (si, c’en est une!), truffée d’hilarantes répliques crues et de loufoques scènes de sexe, met en scène des amis, dont les colocs Zack (l’incontournable Seth Rogen) et Miri (Elizabeth Banks, la Laura Bush de W.), qui décident de tourner un film porno dans le café où ils travaillent après l’heure de fermeture.

À propos de l’affiche de son film bannie aux États-Unis, Smith a eu cette réponse en entrevue: "Je ne comprends pas cela. Il n’y a pas de nudité ni de vulgarité. Tous deux ont une expression amusante. On peut faire des affiches très dures, violentes où l’on voit des corps meurtris, comme celles des films Saw, sans que ça pose problème, mais dès qu’il est question de sexe, rien ne va plus…"

Annoncé pour Cannes, It Might Get Loud de Davis Guggenheim (An Inconvenient Truth) débarque finalement à Toronto. Portraits croisés de trois grands guitaristes, Jimmy Page (Led Zeppelin), The Edge (U2) et Jack White (The White Stripes), ce documentaire plaira sans doute autant aux musiciens qu’aux amateurs de rock. Lors de la conférence de presse, animée par George Stroumboulopoulos (The Hour), l’imperturbable The Edge, assis entre le cabotin White et l’aristocratique Page, a lancé: "Ce qu’on voit dans le film, ce sont trois individus partageant une même passion et qui ont développé de l’affection les uns pour les autres à la fin. Qui sait ce qui se passera par la suite…"

Pour Anne Hathaway, découverte dans The Princess Diaries en 2001, la suite réserve sans doute une statuette dorée. De fait, celle qui possède la grâce d’Audrey Hepburn et le sourire de Julia Roberts incarne avec beaucoup d’aplomb une toxicomane qui revient chez elle à l’occasion du mariage de sa soeur aînée. À la table ronde, Jonathan Demme ne cessait de s’extasier devant le talent et la personnalité de la jeune actrice, qui, embarrassée, a quitté la pièce quelques instants avant le réalisateur de Rachel Getting Married: "Anne est dans le moment présent! Anne est dans la création! Elle a ce don de s’investir dans chaque scène! Elle est extrêmement brillante! Elle a le coeur aussi grand que je le croyais! J’aime son allure, elle est unique!"

Si, d’une part, les dialogues de Jenny Lumet, fille de Sidney, séduisent lors des confrontations familiales – et il y en a énormément au sein de cette famille dysfonctionnelle, laquelle rappelle celle d’Arnaud Desplechin dans le merveilleux Un conte de Noël -, d’autre part, les scènes de toasts aux mariés et l’envahissante musique jouée au mariage, bref, le côté home movie de l’ensemble, agacent grandement. En somme, un film qui laisse le spectateur partagé, un peu comme la programmation 2008 du TIFF.

Jusqu’au 13 septembre
www.tiff08.ca
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