Folle de Dieu : Les deux Marie
Cinéma

Folle de Dieu : Les deux Marie

Dans Folle de Dieu, Jean-Daniel Lafond documente les démarches de l’actrice Marie Tifo pour jouer le rôle de Marie de l’Incarnation.

Ayant quitté famille et patrie pour aller fonder les Ursulines de Québec et évangéliser les Amérindiens de la Nouvelle-France, Marie de l’Incarnation s’est jetée corps et âme dans les bras de Dieu, son "Divin Époux". "C’est une femme qui quitte tout pour aller vers l’inconnu, explique Jean-Daniel Lafond, rencontré lors du Festival des Films du Monde. Elle arrive en 1639, alors qu’il n’y a pas 60 Français ici, dans un monde où tout est à bâtir. Et non seulement elle va bâtir, mais elle va surtout se bâtir elle-même. Elle a un carburant qui la fait vivre, c’est son rapport à Dieu, cet être qui n’est pas visible mais qui la remplit intégralement. Aline Apostolska le dit très bien dans le film: c’est "un amour qui vous remplit complètement, mais qui ne vous traverse pas". Donc, elle est pleine d’elle-même, en quelque sorte."

Cette plénitude est parvenue jusqu’à nous à travers la généreuse correspondance que Marie de l’Incarnation a laissée derrière elle, des écrits qui sont au coeur de Folle de Dieu, un film que Lafond désirait réaliser depuis longtemps: "C’est un projet qui a parcouru 28 ans de ma vie. En 1979, avec Jean-Louis Jacopin et Marcel Bozonnet, nous avions déjà fait une première pièce basée sur la correspondance de Marie de l’Incarnation, à laquelle j’ai été associé quand on l’a produite au Québec. Puis j’ai voulu en faire un film dès 1980, mais j’étais loin d’avoir compris à quel point Marie de l’Incarnation méritait qu’on aille plus loin encore."

Au fil des ans, Lafond a donc écrit un nouveau texte théâtral, destiné non pas à être monté sur scène, mais plutôt à être déconstruit à travers un film dont le sujet serait autant Marie de l’Incarnation que l’interprétation qu’en ferait une actrice, en l’occurrence Marie Tifo. "Au départ, ce film est une fiction où une comédienne affronte le texte d’une pièce. Ce qui se passe là est merveilleux, parce que non seulement vous avez une espèce de quête par une comédienne vis-à-vis d’un personnage, mais en même temps, j’ai mis sur la route de son travail un certain nombre de gens qui portent une vision de Marie de l’Incarnation. Ça va des historiens Dominique Deslandres et Jacques Lacoursière à la metteure en scène Lorraine Pintal, en passant par la chorégraphe Marie Chouinard, qui apporte sa façon à elle de vivre le corps mystique. Ça donne un parcours qui est assez extraordinaire, où tous les éléments ont un rôle important: le théâtre, le cinéma, l’histoire, l’écriture… Bref, la culture dans son ensemble."

Cette association entre Marie de l’Incarnation et la culture, Jean-Daniel Lafond y reviendra souvent lors de notre entretien, insistant sur le fait que le sujet de son film est finalement plus culturel que religieux. "Je la traite d’abord et avant tout comme une artiste, comme une créatrice. Tout est religieux au 17e siècle, on est dans un monde qui s’exprime comme ça. Mais je montre une femme qui, à travers les outils de son époque, trouve sa liberté. C’est quand même étonnant. Si Marie de l’Incarnation avait vécu aujourd’hui, elle aurait peut-être été cette écrivaine, cette danseuse ou cette comédienne", conclut le cinéaste.

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MARIE DE L’INCARNATION OU LA DÉRAISON D’AMOUR

Bien que Jean-Daniel Lafond ait conçu Folle de Dieu comme une oeuvre complète en soi, genèse d’une création théâtrale fictive, la suite des choses allait donner au film des airs de making of involontaire. En effet, dès le 16 septembre prochain au Théâtre du Trident à Québec, puis au Théâtre du Nouveau Monde en juin 2009, Marie Tifo tiendra le rôle-titre de Marie de l’Incarnation ou la déraison d’amour, dans une mise en scène de Lorraine Pintal.

Lafond nous aide à remettre le tout en contexte: "J’ai écrit la pièce comme argument du film, et je ne savais pas au moment où on tournait que ce texte-là allait être monté après. Même quand Lorraine Pintal arrive dans le film, elle est d’abord là pour jouer le rôle de la femme de théâtre qui vient voir la copine actrice en train de travailler et lui donner des indications. Elle ne savait pas qu’elle allait monter la pièce; le désir est né pendant le tournage."

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Folle de Dieu

Cette docu-fiction de Jean-Daniel Lafond est une exploration très poussée de la vie de Marie de l’Incarnation, que viennent interpréter tour à tour des historiens (Dominique Deslandres, Jacques Lacoursière), des religieuses et, de façon particulièrement intéressante, des artistes (Lorraine Pintal, Marie Chouinard, Aline Apostolska). Marie Tifo est au coeur de ce dernier groupe et du film dans son ensemble, dont la progression est ancrée dans les efforts admirables de la comédienne de faire sien le personnage, autant intellectuellement que physiquement, émotionnellement et spirituellement, voire mystiquement.