Naissance des pieuvres : Le goût de l’eau
Naissance des pieuvres, de Céline Sciamma, s’attache aux tribulations de trois adolescentes. Une grande réalisatrice est née.
Affirmer que Naissance des pieuvres est un film d’ados serait à la fois dangereux et réducteur. Car qui dit "film d’ados" pense trop souvent aux produits usinés où fausses moches, petites garces, nerds et sportifs règlent leur compte au bal des finissants. Or, dans ce premier long métrage de la jeune réalisatrice Céline Sciamma, on y explore les petits et grands drames de l’adolescence par le biais de personnages si près de la réalité qu’ils font émerger des souvenirs qu’on aurait voulu oublier à tout jamais.
Présenté dans la catégorie Un certain regard l’an dernier à Cannes, Naissance des pieuvres met en scène 3 filles de 15 ans durant les vacances scolaires. Rêvant de faire partie de l’équipe de nage synchro, la maigrichonne et timide Marie (Pauline Acquart) idolâtre la belle et fantasque Floriane (Adèle Henel), chef de la meilleure équipe, qui, elle, se moque de la rondelette et rigolote Anne (Louise Blachère), chef d’une autre équipe et meilleure copine de Marie.
À leur corps défendant, elles formeront un ménage à trois amical où jalousie, mensonges, trahisons, fascination et rejet marqueront au fer chaud ces jeunes et fragiles sylphides. Tour à tour, elles s’échangeront des regards lourds de sens, des vacheries d’une cruauté sidérante et des confidences troublantes.
À tout cela s’ajoutent leurs pulsions sexuelles qu’elles expriment ou compriment difficilement, l’image dont elles sont prisonnières et, bien sûr, leur désir d’être acceptée par la bande. Évidemment, il y a les garçons, ces drôles de bêtes peu loquaces rôdant non loin du vestiaire, dont le beau François (Warren Jacquin), petit ami de Floriane et objet de désir d’Anne. Étrangement, peu d’adultes évoluent dans ce petit univers alanguissant replié sur lui-même où le temps s’est arrêté le temps d’un été.
Dirigeant admirablement ses jeunes comédiennes (de vraies ados et non des adultes aux allures juvéniles), Sciamma a su capter, grâce à une mise en scène sans flafla, les émotions à fleur de peau de ces adolescentes tourmentées. Avec tendresse, respect, pudeur et juste ce qu’il faut de sensualité, elle les montre dans toute leur beauté, leur grâce, mais aussi avec leurs maladresses, sans toutefois en faire de jolies potiches ni les rendre ridicules. Rarement aura-t-on vu l’adolescence illustrée avec autant de vérité et d’acuité au cinéma.
À voir si vous aimez /
L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, La Niña Santa de Lucrecia Martel, The Dreamers de Bernardo Bertolucci