The Tiger’s Tail : Le prince et le pauvre
The Tiger’s Tail, de John Boorman, est une fable sociale à l’humour noir campée dans la verte Erin.
Venu recevoir la Louve d’honneur et offrir une leçon de cinéma au Festival du nouveau cinéma, le réalisateur britannique John Boorman (Deliverance, Excalibur, The General) en a aussi profité pour promouvoir son dernier film, The Tiger’s Tail, mettant en vedette l’acteur irlandais Brendan Gleeson, avec qui il travaille pour la quatrième fois.
"Ce qui est excitant avec des acteurs comme Lee Marvin, Jon Voight ou Brendan Gleeson, confiait-il, c’est que je peux les pousser très loin, prendre des risques grâce à l’entière confiance qu’ils ont en moi, sachant que je ne veux pas les tourner en ridicule."
Revenant brièvement sur l’époque où le tournage de Point Blank fut rendu possible grâce au pouvoir de la critique Pauline Kael ("Tout un numéro, celle-là!"), qui avait aimé Catch Us If You Can, Boorman, 74 ans, évoque aussi l’adaptation des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar avec lesquels il établit un parallèle entre l’empereur romain et l’homme d’affaires puissant qu’incarne Gleeson.
"Ce livre a tant à dire sur les empires; ceux-ci sont en constante mutation, qu’ils s’étendent ou se contractent. En ce moment, nous le voyons avec le déclin de l’empire américain qui ne peut s’arrêter, nous l’avons vu avec l’empire britannique, l’empire français. Avec Hadrien, il est fascinant de voir comment le pouvoir transforme les gens. Lorsqu’on a le pouvoir de l’argent, on peut acheter des choses exprimant la richesse. La plupart des gens riches ne ressentent aucune culpabilité à l’être, ils affichent même une certaine arrogance; les nouveaux riches en tout cas."
D’origine modeste, Liam O’Leary (Gleeson) s’est taillé une place de choix dans la société, mais il se trouve ébranlé lorsque entre en scène son double: "J’ai toujours été fasciné par les jumeaux, je suis moi-même père de jumeaux. C’est un documentaire sur les retrouvailles de jumeaux qui m’a inspiré. J’étais fasciné par les ressemblances de leurs conjoints, leurs vêtements, etc. Ce qui est magique chez les jumeaux identiques, c’est leur grande ressemblance et leur grande différence. Je voulais faire un film là-dessus depuis longtemps, et en choisissant de les séparer à la naissance, l’un devenu riche, l’autre pauvre, cela me permettait d’explorer davantage la société en général."
Bien que campé dans l’Irlande prospère, surnommée le Tigre celtique, The Tiger’s Tail livre un constat peu joyeux de cette époque: "On m’a fortement critiqué lors de la sortie du film; on m’a accusé d’avoir eu l’audace de prétendre que cette bulle pouvait éclater. C’est un film complètement différent maintenant, car lorsque je l’ai tourné, tout allait bien, c’était une période de prospérité."
Plus noire encore est la vision qu’a Boorman de l’Irlande, pays qu’il a adopté en 1967: "Dans la société irlandaise, il y a une épidémie de suicides chez les jeunes garçons, qui choisissent des techniques radicales comme la pendaison. Il a été prouvé que toute cette angoisse, cette détresse, est reliée à l’effondrement de l’Église catholique. La disparition de la discipline de l’Église a laissé toute la place à la liberté du capitalisme, sans structure ni justice, d’où la confusion qui règne en Irlande où les infrastructures sont sur le point de s’écrouler."
Et le jeune fils de Liam (Briain Gleeson, fils de Brendan) dans tout cela? Le cinéaste sourit: "Le personnage du fils accro au communisme, c’est moi lorsque j’étais jeune…"
Enfin, à propos de la rumeur d’un remake hollywoodien de son dernier film, John Boorman, qui n’a jamais voulu se plier aux caprices des Américains, hausse les épaules: "Je déteste les remakes… On m’a demandé les droits et sans doute qu’on m’offrirait beaucoup d’argent, mais moi, je ne veux pas les céder. D’ailleurs, pourquoi le ferais-je?"
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THE TIGER’S TAIL
Liam O’Leary (Brendan Gleeson, irréprochable et truculent), riche Dublinois, découvre de lourds secrets sur ses origines après avoir croisé son double, un pauvre chômeur. Ce dernier machinera une façon de s’immiscer dans la vie de Liam, de même que dans les draps de madame (Kim Cattrall, hilarante).
Bien qu’ayant choisi de tourner à Dublin par souci d’authenticité, John Boorman dépeint ici une Irlande semblant tout droit sortie d’un mauvais rêve. Ainsi, on retrouve une faune hirsute imbibée d’alcool circulant dans les beaux quartiers. Que l’on soit dans la résidence des O’Leary ou au centre d’accueil pour itinérants du père Andy (Ciarán Hinds, solide), tout baigne dans une atmosphère étrange et oppressante.
Au final, le cinéaste signe une fable noire et caustique pour le moins inquiétante sur l’Irlande des années 1990 doublée d’une réflexion grinçante sur le capitalisme.