Un capitalisme sentimental : Cote d'amour
Cinéma

Un capitalisme sentimental : Cote d’amour

Dans Un capitalisme sentimental, Olivier Asselin s’amuse à démontrer que toute chose, même abstraite, est monnayable.

L’amour et l’art ramenés à de froids rapports comptables… Les marchés boursiers plongés dans la tourmente… Vu son ancrage actuel, on voudrait attribuer à Un capitalisme sentimental valeur prophétique. Toute correspondance avec les manchettes journalistiques récentes relève pourtant du hasard, affirme Olivier Asselin.

Après tout, le scénario du film est né au… siècle dernier. "C’était il y a 10 ans, après la sortie du Siège de l’âme, se souvient le cinéaste. Je travaillais déjà sur les années 1920 et 1930, dans les milieux de l’art et de la finance, en mettant l’accent sur l’année charnière de 1929. Ça me semblait révélateur de ce qu’on vit quotidiennement. La question de la valeur économique appliquée à tout: la vie sentimentale, l’art, la beauté, même les souvenirs pourraient être cotés en Bourse et fluctuer en fonction de l’offre et de la demande."

Si une majorité d’observateurs éclairés s’entendent pour dire que la crise que nous traversons aujourd’hui n’est pas le vilain remake des événements de 1929, on a quand même l’impression que plus ça change, plus c’est pareil. "J’ai trouvé une belle citation de Karl Marx qui disait: "L’Histoire se répète. La première fois, c’est une tragédie; la deuxième fois, c’est une farce." Avec le krach, c’est un peu ça: il est impensable qu’on n’ait pas mis au point des mécanismes qui évitent que le marché connaisse de nouveau la crise", lance Olivier Asselin.

Ces turbulences offriront peut-être aux artistes de quoi titiller leur muse… si on ne leur enlève pas les moyens de créer entre-temps. La crise des subventions culturelles engendrera-t-elle des lendemains qui déchantent? Bien qu’habitué de composer avec de modestes enveloppes, le réalisateur souligne que "le cinéma subventionné est de plus en plus cher. Le budget moyen du long métrage de fiction au Québec est de cinq millions, alors qu’il était de deux millions il y a cinq ans. C’est 175 % d’augmentation! Un rapport de la SODEC concluait que c’est parce que les équipes deviennent plus nombreuses, la postproduction, plus coûteuse. Je ne suis pas sûr que ce soit ça. On a un star-système qui se met en place…".

Or, il faudra plus que ça pour arrêter Asselin de tourner: "Quand j’ai un projet, j’y vais, que j’aie du financement ou non. Et ça prendra deux, cinq ou sept ans", dit-il.

SONGE LUCIDE

Étrange objet que ce Capitalisme sentimental. Film d’époque, certes, mais pas à cheval sur le réalisme. La chose baigne dans une nébulosité sciemment entretenue. "Quelqu’un m’a dit que le film s’apparentait à un rêve, confie Olivier Asselin. J’ai trouvé ça beau comme image. C’est proche du réel, tout en étant off. Ça ressemble à l’Histoire réelle, mais ce n’est pas exactement ça. Il y a cohérence, mais aussi quelques anachronismes assumés. C’est une liberté que je me suis donnée pour tous mes films."

Liberté. Le mot revient à quelques reprises au fil de la conversation. Olivier Asselin la revendique, cette liberté, en tant que cinéaste. Liberté de faire, de voir, de montrer autre chose. "Je trouve important d’assouplir les critères, soutient-il. On a une idée assez étroite de ce qu’est le cinéma."

Pour le cinéaste qui fait aussi carrière comme professeur d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, il importe d’ouvrir sa caméra à tous les possibles. "Il faut essayer d’inventer de nouvelles manières de faire. Si on ne peut y arriver dans le vide, allons voir en amont. Du côté du cinéma d’avant-garde, capable du meilleur comme du pire, mais animé par une extraordinaire liberté. Il y a là des leçons pour aujourd’hui", conclut-il.

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Un capitalisme sentimental

Paris, fin des années 1920. Fernande Bouvier (Lucille Fluet), jeune femme rêveuse mais démunie, ambitionne de faire carrière comme peintre. Elle s’amourache de Max Bauer (Paul Ahmarani), intellectuel frayant dans le milieu de l’art moderne, qui l’encourage à poursuivre sa muse. La lune de miel est de courte durée: trompée par Max, Fernande se ramasse à la rue. Elle trouve refuge dans une maison close. C’est là qu’elle tombe pour un certain Victor Feldman (Alex Bisping), homme d’affaires peu scrupuleux, qui la prend sous son aile et l’emmène vivre à New York. Grâce à Victor, Fernande connaîtra la gloire. Mais à quel prix…

Objet filmique singulier, Un capitalisme sentimental se démarque sur notre échiquier cinématographique. Croisant cinéma d’avant-garde, comédie musicale et film noir, Olivier Asselin accouche d’une proposition filmique hautement stylisée, érudite mais ludique, en prise directe sur La Liberté d’une statue (1990) et Le Siège de l’âme (1997).

L’amalgame obtenu, malgré un effort d’assemblage louable, reste hétérogène. Les séquences chantées brisent le rythme d’une intrigue qui, déjà, peinait à embrayer en seconde. Le maniérisme des comédiens agacera aussi le spectateur habitué à une approche plus réaliste du jeu.

L’oeuvre trouve sa valeur sur le plan plastique. Mettant à profit la magie du numérique, Asselin nous présente des images fastueuses – géniale recréation de la Grosse Pomme… – qui composent autant de fascinants tableaux.

Quelques pointes d’humour très fin, versant dans une ironie douce-amère, permettent des allers-retours entre tragique et comique. Enfin, l’actualité du propos, bien que fortuite, permet d’établir un dialogue avec l’époque. Un capitalisme sentimental trouve là une valeur ajoutée non négligeable.