Made in Jamaica : Un pays, une musique
Cinéma

Made in Jamaica : Un pays, une musique

Made in Jamaica, de Jérôme Laperrousaz, met brillamment en relief la musique reggae et dancehall par le biais de performances et d’entrevues originales avec les principaux artistes.

Les documentaires sur le reggae ne sont pas légion, compte tenu de la popularité de cette musique à travers le monde. S’il fallait n’en voir qu’un seul, Made in Jamaica figurerait probablement en tête de liste.

Réalisé par le Français Jerôme Laperrousaz, ce film nous plonge directement dans la culture musicale de la Jamaïque. Si le fil conducteur est assez mince, "le reggae nous a tous sauvés", le cinéaste, grâce à un montage serré et des prises de vues originales, arrive à nous captiver.

En fait, Laperrousaz n’a pas hésité à utiliser les techniques de la fiction pour donner à son documentaire un côté moins didactique. Donc, pas de voix hors champ au ton monocorde comme il est de coutume dans le documentaire, mais plutôt une utilisation intelligente de la lumière, des cadres, des décors, de la multiplicité des prises, des chorégraphies, des figurants, etc. Ainsi, nous avons davantage le sentiment d’entrer dans l’intimité des principaux acteurs de Made in Jamaica: les musiciens.

Parce que ce film est d’abord et avant tout axé sur la musique. C’est le lien qui unit tous les intervenants qu’on voit à l’écran et qui justifie le passage d’une chanson de tel artiste à celle d’un autre, quand ce ne sont pas quelques mots ou explications que l’artiste en question donne sur ses conditions de vie, d’où il vient (ils viennent presque tous du ghetto, en fait), sur son éducation, les familles brisées, sur la misère, la violence (le film débute avec la mort par balles de Bogle, un danseur dancehall très connu et respecté), le sexe, la drogue, les armes qui circulent librement (il est plus facile d’obtenir un flingue en Jamaïque que de l’électricité dans sa maison) et… la musique.

Avec comme toile de fond la pauvreté qui côtoie des paysages paradisiaques, les musiciens interviewés sont tous conscients que c’est grâce à la musique qu’ils ont pu s’en sortir, qu’ils ont pu voir le monde, faire de l’argent et ne pas sombrer. Les citations et les situations fortes sont nombreuses, comme le père de la controversée chanteuse dancehall Lady Saw qui remercie le ciel de lui avoir donné de bons enfants mais qui rend spécialement et sincèrement grâce à Dieu pour cette dernière en particulier, peu importe si elle parle de cul de façon obscène dans ses chansons. Car, comme dit le chanteur dancehall Elephant Man, il y a un tas de belles choses en Jamaïque, plein de jolies filles et de gens bien, mais pas d’argent… Pour tous ces gamins qui viennent des quartiers défavorisés, la seule porte de sortie, en restant dans les limites de la légalité, c’est la musique. Ceux qui arrivent à percer sont donc perçus comme de véritables sauveurs pour leur famille.

Mais si ce documentaire trace un portrait assez sommaire des conditions de vie en Jamaïque, il va beaucoup plus loin en ce qui concerne les différentes variantes du reggae. En fait, il fait le pont entre les deux principales tendances musicales de l’île: le reggae roots, très cool et peace and love, tel que le pratiquait Bob Marley, par exemple, et le dancehall, un style très prisé des jeunes Jamaïcains, très proche du hip-hop et beaucoup plus agressif. Avec ses paroles souvent hyper-crues, sa sexualité exacerbée et ses nombreux paradoxes (on passe de l’apologie des armes à des messages de paix), le dancehall demeure néanmoins méconnu et on réalise finalement, après l’écoute de ce documentaire, qu’on a beaucoup de préjugés envers cette musique et ses principaux protagonistes (ici Bounty Killer, Vibz Kartel, Blessed Stephens, Brick and Lace, etc.).

Les quelques artistes que nous fait découvrir Made in Jamaica, s’ils n’ont pas beaucoup d’éducation, ont néanmoins tous conscience du monde qui les entoure et de l’influence qu’ils peuvent avoir sur leur public. Si les paroles crues et les airs de durs aident à vendre des disques ou des places de concerts, ces derniers n’hésitent pas à propager des messages de paix. Comme ceux du légendaire Bob Marley, qui pourrait être comparé à une sorte de messie en Jamaïque.

À l’autre bout du spectre, on a les bobo dreads comme Capleton, ces rastas zélés qui suivent une philosophie très stricte et aussi ces vieux routiers tels que Bunny Wailer, Gregory Isaac, Toots Hibbert, Third World, Beres Hammond et bien d’autres qui continuent à jouer ce reggae roots chaloupé.

Jérôme Laperrousaz nous fait passer de l’un à l’autre, du jeune chanteur dancehall au vénérable rasta, dans toutes sortes de situations. Ainsi, on voit Lady Saw faire la popote en chantant a cappella une chanson assez osée, ou alors répéter ses danses lascives avec une copine et sa fille dans sa chambre à coucher, une chambre toute propre et mignonne… Bref, toutes sortes de situations inusitées qui sont pleines de candeur et de poésie.

Et quand la caméra les capte en concert, là, on a des frissons. D’abord parce que l’artiste et ses musiciens jouent live pour la caméra, pas en play-back (à part deux ou trois morceaux sur la quarantaine qu’on peut entendre dans le film), et que le son est tout simplement excellent, rien à voir avec la compilation CD Made in Jamaica sur laquelle on retrouve plusieurs des chansons du documentaire, et généralement pas les meilleures. Sur ce disque double, le son est très mal mixé, les voix sont bien trop en avant et les basses (prépondérantes dans ce style de musique), vraiment pas assez puissantes.

Il y a évidemment quelques bémols, comme ce choix évident du réalisateur d’ignorer complètement certains aspects très douteux de la musique jamaïcaine, c’est-à-dire les propos sexistes, racistes et surtout homophobes de plusieurs chanteurs dancehall ou bobo dreads. Outre ce détail non négligeable, ce film est un must pour quiconque s’intéresse de près ou de loin au reggae et ses dérivés, et même pour ceux qui ne connaissent rien de cette musique et aimeraient bien s’initier au genre. À voir absolument.

À voir si vous aimez /
Studio One Story, Rockers, My World