Papa à la chasse aux lagopèdes : Make money, salut bonsoir!
Dans Papa à la chasse aux lagopèdes, de Robert Morin, François Papineau incarne un requin de la finance qui filme ses propres confessions.
Regard caustique sur les excès du monde de la finance, Papa à la chasse aux lagopèdes arrive en salle alors que ce sujet est au centre des préoccupations de bien des gens depuis plusieurs mois. "Ç’a été dur de se "timer" sur la crise économique, blague François Papineau. Mais sérieusement, on ne savait pas qu’on aurait une campagne publicitaire de 700 milliards!"
Lorsque Robert Morin a écrit le scénario du film, il y a plus d’un an, son inspiration n’était évidemment pas la crise économique actuelle, mais plutôt les scandales financiers des dernières années tels que le détroussement par Vincent Lacroix des investisseurs de Norbourg. "Vincent Lacroix, c’était le coup de départ, se rappelle Morin. Comment est-ce qu’un gars de même explique à ses enfants ce qu’il a fait? Je suis parti de ça, mais le film n’est pas spécifiquement à propos de Lacroix. Je ne me suis pas documenté sur lui, pas une seconde."
De fait, plutôt que de se retrouver devant la justice pour répondre de ses actes après avoir commis une fraude de 100 millions de dollars, le Vincent du film (joué par Papineau) fuit vers la Baie-James avant d’être inculpé, censément pour avoir chassé du petit gibier (les lagopèdes du titre). Équipé d’une petite caméra, il livre ses confessions dans une vidéo adressée à ses filles.
Conceptuellement, Papa à la chasse aux lagopèdes se rapproche de Yes Sir! Madame… et de Petit Pow! Pow! Noël, deux autres réalisations de Morin prenant la forme de fausses vidéos maison. Morin ne s’est toutefois pas donné le rôle principal cette fois-ci. "D’abord, explique Morin, je n’ai pas de technique de jeu. Apprendre tous ces textes-là, ça m’aurait pris trop de temps. L’autre affaire, c’est que ce genre de crosseurs-là, ils n’ont pas mon âge. Ceux dont on entend parler, les Charbonneau, Lacroix, etc., c’est du monde de 40, 45 ans…" "Donc, résume Papineau, ça prenait un acteur qui est capable d’apprendre beaucoup de texte et qui a l’air d’un crosseur; je m’imposais!"
S.O.S. SPECULATION
Papa à la chasse aux lagopèdes a été tourné en 10 jours à la Baie-James, avec pratiquement rien d’autre qu’une caméra, Morin derrière et Papineau devant. "C’est une grosse job pour un acteur, surtout que c’était dans des conditions extrêmes. T’es dehors à -35, puis t’as de 10 à 15 pages de texte à faire par jour… C’est sûr que c’est un peu "rushant"", avoue Papineau, qui avait par ailleurs la tâche ardue de nous faire ressentir de l’empathie pour un personnage d’emblée méprisable.
"Ces gars-là, estime Morin, ils ne sont pas unidimensionnels. C’est juste au cinéma, en général, qu’il y a des personnages de bons et de méchants. Moi, ça m’ennuie. Ce que j’aime, c’est des personnages qui sont complexes, qui ont différentes facettes. Vincent, il a tellement de facettes qu’on se retrouve un peu fourré à la fin… Parce que même s’il devient sympathique, ça ne cache pas pour autant tout son côté manipulateur; il essaie quand même de faire avaler à ses filles que les petits épargnants méritaient de se faire voler!"
Bref, l’impression dominante est que le personnage de Papineau se sent surtout coupable de s’être fait pincer et qu’il n’a pas nécessairement perdu son maladif appât du gain. "Dans le fond, les spéculateurs, c’est des joueurs compulsifs, avance Papineau. Comme il y a S.O.S. Jeux, il devrait y avoir un S.O.S. Spéculation. "Je pense que je suis en rechute, j’ai une possibilité de faire 100 millions, pouvez-vous m’aider?" Quand t’as un million, pourquoi te rendre à 100 millions? C’est une escalade de junkie… Au lieu de donner 700 milliards à cette gang-là pour renflouer leurs banques, si on avait payé à chacun un séjour à la Maison Jean Lapointe, ça aurait coûté pas mal moins cher et l’économie serait bien plus en santé!"
Pour sa part, Morin semble croire que toutes les cures de désintoxication du monde ne suffiraient pas à guérir l’Homme de son désir d’accumuler toujours plus de richesses, une pulsion primordiale qui remonterait à nos origines animales: "Tu vas dans les tribus au fond de la jungle, ils n’ont même pas d’argent et ils ont ce système empirique-là de piquer les affaires de l’autre, de fourrer l’autre lorsqu’ils font du troc, etc. C’est une invention animale, le capitalisme, cumuler des affaires au cas qu’il fasse frette… T’en accumules pour 10 hivers, puis la bibitte à côté de toi qui n’en a pas assez pour passer un hiver, tu la laisses crever!"
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Yes Sir! Madame… et Petit Pow! Pow! Noël de Robert Morin
PAPA À LA CHASSE AUX LAGOPÈDES
Reprenant le concept de la fausse vidéo maison comme dans Yes Sir! Madame… et Petit Pow! Pow! Noël, Robert Morin livre un autre jouissif brûlot, dans lequel un émule de Vincent Lacroix (extraordinaire François Papineau, seul à l’écran dans presque toutes les scènes) tourne un film où il tente de justifier ses actions à ses filles. À la fois une attaque en règle contre le capitalisme sauvage et le portrait d’un petit rêveur devenu un grand crosseur, Papa à la chasse aux lagopèdes confirme le grand talent de Morin qui, avec pratiquement rien d’autre qu’une caméra, un acteur et ce qui les entoure, crée une foule de moments drôles, touchants ou qui font réfléchir.