Synecdoche, New York : L'auteur! L'auteur!
Cinéma

Synecdoche, New York : L’auteur! L’auteur!

Synecdoche, New York est la première réalisation du brillant scénariste Charlie Kaufman.

Au Festival de Cannes, la conférence de presse de Synecdoche, New York était à un cheveu de se transformer en leçon de diction – et non en cours de rhétorique, comme aurait pu le suggérer la figure de style du titre signifiant la partie pour le tout ou le tout pour la partie – tant les journalistes revenaient sur la difficulté de prononcer le titre de cette première incursion de Charlie Kaufman derrière la caméra.

À sa défense, celui qui a notamment signé les scénarios d’Adaptation et de Human Nature a simplement lancé: "J’aime les titres difficiles à prononcer comme celui-ci ou à mémoriser comme le dernier que j’ai écrit, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, que j’ai moi-même eu de la difficulté à retenir. Synecdoche, New York fait penser à la ville de New York, Schenectady. Les gens apprendront à prononcer un nouveau mot, c’est drôle, non?"

Lorsqu’on compare Synecdoche, New York, qui raconte les difficultés d’un dramaturge, à 81/2 de Fellini, Kaufman ne s’embarrasse pas d’une longue réponse: "Je sais que ce film traite des problèmes d’un réalisateur, mais je ne l’ai pas vu; en fait, je ne vois pas beaucoup de films…"

Quant à ses sources d’inspiration, encore là, l’homme se fait évasif: "Je pensais à la vie, à la vieillesse, à la maladie… et c’est ce que ç’a donné. Lorsque j’écris, j’explore, et c’est au cours du processus que tout se place."

L’interprète du dramaturge, Philip Seymour Hoffman, montre plus d’enthousiasme: "C’est le meilleur scénario que j’aie jamais lu. Il y est question de plusieurs choses, mais on ne peut mettre son doigt dessus. C’est un feu roulant. Il est question d’enfants, des parents, de la vie. La liste est longue."

Producteur du film, Spike Jonze, pour qui Kaufman a écrit Being John Malkovich, ne tarit également pas d’éloges: "Charlie se surpasse d’un scénario à l’autre. Celui-ci est son meilleur; il est plus brut, plus honnête, plus audacieux. Dans Being John Malkovich, son écriture était si bonne que rien n’avait besoin d’être changé, j’étais très respectueux envers son écriture. Il est de loin mon auteur préféré."

Avec un scénario d’une ambition démesurée et une réputation béton comme scénariste, force est d’admettre que Charlie Kaufman avait mis la barre bien haut pour sa première réalisation. Philip Seymour Hoffman se souvient: "Charlie est un réalisateur incroyable. Le premier jour, il savait d’instinct ce qu’il voulait faire. Il est très sérieux tout en ayant un grand sens de l’humour. Charlie m’a aidé lorsque je me battais pour trouver mon personnage."

Kaufman poursuit: "À travers nos discussions, nos pensées, le personnage de Philip, Caden Cotard, est venu au monde. J’aime travailler avec les acteurs, les aider à trouver leur personnage."

Ayant écrit pour Jonze, Michel Gondry et George Clooney (Confessions of a Dangerous Mind), Charlie Kaufman ne semblait pas le moins du monde effrayé de coiffer le chapeau de réalisateur. "Étrangement, je n’avais pas peur. Je savais que c’était un projet monumental impliquant une centaine d’acteurs et de décors, mais j’avais décidé de l’aborder une étape à la fois", conclut-il.

À voir si vous aimez /
Being John Malkovich de Spike Jonze, Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry, 81/2 de Federico Fellini

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SYNECDOCHE, NEW YORK

Mettant en vedette le toujours splendide Philip Seymour Hoffman, mis en valeur par une prestigieuse et impeccable distribution féminine incluant Catherine Keener, Michelle Williams, Jennifer Jason Leigh, Samantha Morton, Emily Watson, Hope Davis et Dianne Wiest, cette comédie dramatique douce-amère et délicieusement absurde à l’esthétique bric-à-brac raconte la vie sentimentale difficile d’un dramaturge qui, après avoir reçu une bourse, entreprend d’écrire l’oeuvre de sa vie.

Plus le récit avance, plus la réalité et la fiction sont indissociables l’une de l’autre, à tel point que les personnages se dédoublent ou fusionnent, et que les frontières spatiotemporelles s’embrouillent. Si on a parfois envie de demander à Charlie Kaufman de ménager nos méninges, lui qui multiplie les détails insolites (quel beau flash que celui du journal intime de la fille du dramaturge qui vieillit en même temps qu’elle) et les revirements inattendus (qu’on se garde bien de vous dévoiler), rien ne nous empêche de goûter pleinement cette quête initiatique au cours de laquelle un homme apprend à accepter son sort afin de mieux embrasser ce que lui réserve l’avenir.

Bien qu’un certain agacement puisse survenir après l’amusement et l’étonnement que provoque la première partie, le dernier quart d’heure s’avère un moment d’anthologie fort émouvant où le héros met enfin le point final à son oeuvre colossale (il ira jusqu’à construire New York dans un vieux théâtre). Pour paraphraser Dany Turcotte à propos de Jean Leloup, on aimerait bien gagner un voyage dans la tête de Charlie Kaufman…