Les Noces rebelles : Maison de poupée
Dans Les Noces rebelles, Sam Mendes décortique, une fois de plus, avec brio la banlieue américaine.
Aux yeux de leur entourage, April et Frank Wheeler (Kate Winslet et Leonardo DiCaprio, magistraux) forment le couple idéal. Ils sont beaux, jeunes, amoureux, habitent une jolie maison dans une banlieue cossue et ont deux charmants enfants. Et pourtant, sous le fini glacé, tout n’est que lézardes et fêlures. Lasse du moule des parfaits petits banlieusards dans lequel ils se sont engoncés, April, actrice ratée, convainc Frank, petit travailleur industriel ambitieux, de déménager leurs pénates à Paris. Hélas, plus la date de départ approchera, moins Frank sera chaud à l’idée de repartir à zéro. On est bien loin de la romance à l’eau de rose de Jack et Rose à bord du Titanic…
Fine radiographie d’un couple à la dérive, cette adaptation du premier roman de Richard Yates, publié en 1961, évoque à la fois Ibsen (Une maison de poupée, Hedda Gabler) et Tchekhov (Les Trois Soeurs, La Cerisaie) tant la détresse du personnage féminin, prêt à tout pour sortir du carcan social et en avance sur son temps, est palpable et d’une justesse qui fait mal. À l’opposé, la lâcheté et la complaisance avec laquelle le protagoniste masculin, qui suit bêtement les traces de son père, se vautre dans la conformité lui donnent une dimension tragique.
C’est toutefois la banlieue américaine des années 50 que Sam Mendes et le scénariste Justin Haythe scrutent à la loupe plutôt que la petite-bourgeoisie européenne du 19e siècle. Cette banlieue proprette où les gardiens de l’ordre prennent le visage admiratif et bienveillant d’un couple d’âge mûr (Kathy Bates et Richard Easton, efficaces), dont le fils psychopathe (Michael Shannon, inquiétant), véritable fou shakespearien, viendra crier à la gueule des Wheeler ce qu’ils tentent de cacher aux autres.
Dénué de l’humour décapant de Beauté américaine, Les Noces rebelles s’avère une étude tout aussi forte des moeurs américaines. D’une élégance quelque peu surannée mais jamais nostalgique, la réalisation de Mendes illustre parfaitement l’univers aseptisé où tentent vainement de s’engourdir April et Frank. Mais dans cette belle cage dorée, les mots les plus tendres se révèlent plus assassins que les paroles dures, et lorsque survient le drame, celui-ci n’en est que plus crève-coeur.
À voir si vous aimez /
Beauté américaine de Sam Mendes, les pièces d’Henrik Ibsen et d’Anton Tchekhov