Séraphine : Entre le génie et la folie
Cinéma

Séraphine : Entre le génie et la folie

Dans Séraphine, de Martin Provost, Yolande Moreau joue le plus beau rôle de sa vie. Les rumeurs à propos d’une pluie de César vont déjà bon train…

Trop souvent cantonnée dans la comédie, rappelez-vous la concierge du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, l’actrice belge Yolande Moreau, à qui l’on doit Quand la mer monte, trouve enfin un rôle à la pleine mesure de son talent sous la direction de Martin Provost (Tortilla y cinéma, Le Ventre de Juliette, inédits au Québec). Ce rôle, c’est celui de la peintre naïve Séraphine de Senlis, qui rata son rendez-vous avec la gloire, notamment à cause du krach de 1929, et qui mourut de faim dans un asile psychiatrique durant la Seconde Guerre mondiale.

Méconnue du grand public, celle dont l’oeuvre fait l’objet d’une rétrospective au Musée Maillol de Paris jusqu’en janvier a trouvé en l’actrice Yolande Moreau une ambassadrice parfaite: "C’est un joli mot, ambassadrice, acquiesce l’actrice rencontrée lors de son passage au Festival du Nouveau Cinéma. Cela désigne bien le travail de l’acteur en général. En lisant les scénarios, on s’imagine des êtres loin de soi, à l’extérieur. Il y a une pudeur à interpréter des personnages qui ont existé, à savoir comment était leur vie, à l’endosser et à ne pas trahir quelque chose. Puis, il y a une curiosité qui s’installe et, petit à petit, on va vers quelqu’un d’autre et on le ramène vers soi. Et le but, c’est que ça devienne universel, donc le mot ambassadeur s’applique bien."

Rencontré au Festival de Toronto, Martin Provost parle avec tendresse, admiration et pudeur de Séraphine, comme s’il l’avait connue ou qu’elle était devenue une amie au cours de ses recherches: "Je me suis posé beaucoup de questions sur ce que je voulais montrer, confie-t-il à propos de cette femme au destin malheureux J’ai essayé de ne pas asséner un message, de dire: "Regardez cette pauvre femme!" Pour moi, Séraphine n’est pas une pauvre femme, c’est une femme qui s’est accomplie, qui a accompli une oeuvre. C’est énorme pour l’époque! C’est d’un courage! Elle est un exemple pour tellement de femmes."

Issue d’un milieu pauvre, devenue orpheline très jeune, élevée au couvent, Séraphine de Senlis passait ses nuits à peindre à l’aide de couleurs qu’elle créait elle-même et dont elle a gardé le secret. Le jour, elle était femme de ménage. Aux yeux de plusieurs, elle semblait ne pas avoir toute sa tête.

"Je me suis toujours posé la question à savoir si elle était vraiment folle, avance le réalisateur. Est-ce qu’elle avait vraiment le choix en 1932? À l’époque, il n’y avait pas de retraite, elle n’avait pas d’enfants – alors qu’on en faisait 10 dans l’espoir que certains survivent pour assurer ses vieux jours -, or, Séraphine n’avait rien! Il y a de quoi devenir fou. Je la comprends et je suis avec elle."

"Il y a sans doute une grande souffrance qui s’est exprimée par exutoire dans la peinture, croit l’actrice. Elle a perdu ses parents très tôt. Il y a toutes ces années dont on ne parle pas dans le film. C’était probablement quelqu’un qui souffrait aussi de grande solitude et qui a peut-être trouvé avec la nature, avec Dieu, quelque chose qui l’a amenée ailleurs, qui l’a poussée à faire de la peinture. Je me l’explique comme ça, mais je pense qu’au départ, si l’on se fie à ce que les gens rapportent, c’était quelqu’un en décalage avec la réalité."

Martin Provost poursuit: "J’ai eu des périodes dans ma vie d’artiste – le terme paraît prétentieux mais j’aime bien me le dire – où j’ai traversé des déserts. Il y a des moments où je me demandais ce que j’allais devenir, j’avais envie de mourir. Je crois que dans toute vie d’artiste digne, il y a ça. Et en 1932, mon Dieu, qu’est-ce que ça devait être? La folie, c’est un refuge… Séraphine n’avait pas le choix, ou plutôt elle n’avait que choisir entre l’asile ou l’hospice. Je ne sais pas la vérité et je n’ai pas envie de donner de réponses."

De ne pas vouloir donner de réponses est sans doute l’une des nombreuses qualités de ce vibrant drame biographique impressionniste au-dessus duquel plane l’âme de l’artiste: "C’est comme si Séraphine nous avait accompagnés durant le tournage, confie le réalisateur, nous avons vraiment été touchés par la grâce."

"Je suis assez agnostique et pourtant j’ai aussi ressenti sa présence. Même l’autre jour, lors de l’exposition au Musée Maillol, j’étais la dernière à fermer la porte et j’avais l’impression qu’elle était assise en paix parmi ses tableaux", conclut Yolande Moreau.

À voir si vous aimez /
Un coeur simple de Gustave Flaubert, Camille Claudel de Bruno Nuytten, Van Gogh de Maurice Pialat

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SERAPHINE

Dans Séraphine, Yolande Moreau incarne avec une extraordinaire générosité un personnage qui évoque tour à tour la domestique naïve d’Un coeur simple de Flaubert, Camille Claudel (l’hystérie d’Adjani en moins) et Van Gogh. Si ce destin de femme malheureux semble avoir été conçu pour le grand écran, Séraphine Louis a pourtant bel et bien existé.

Connue des connaisseurs d’art sous le nom de Séraphine de Senlis, cette peintre naïve fut découverte par hasard par le collectionneur et découvreur du Douanier Rousseau, l’Allemand Wilhelm Uhde (Ulrich Tukur, solide), alors qu’elle était femme de ménage peu avant la Première Guerre mondiale.

Magnifique film au rythme contemplatif, Séraphine illustre avec une sensibilité remarquable le difficile quotidien de cette femme humble qui sacrifia tout pour son art. Travaillant surtout la nuit, cette peintre mystique – elle a toujours prétendu que c’était son ange gardien qui lui avait ordonné de peindre – créa des toiles florales aux tonalités sombres et d’une sensualité inquiétante.

En harmonie avec la vie et l’oeuvre de cette femme remarquable, Séraphine se raconte en une suite fluide de minutieux tableaux aux mouvements de caméra très discrets, lesquels donnent naissance à de superbes paysages, portraits et natures mortes, tantôt baignés de lumière, tantôt sculptés d’effets d’ombre.

Ayant sombré trop longtemps dans l’oubli, Séraphine de Senlis revit grâce à Martin Provost. Sans jamais sombrer dans le misérabilisme ou le pathos, le réalisateur redonne à cette artiste méconnue toute la dignité et le respect dont elle fut privée. Et à l’instar de Séraphine, Provost signe une oeuvre portée par la grâce.