Cadavres : De l'amour à la pelle
Cinéma

Cadavres : De l’amour à la pelle

Cadavres, d’Érik Canuel, est un ovni carnavalesque où Julie Le Breton et Patrick Huard vivent des amours pour le moins tordues sous l’oeil du fantôme de leur mère alors que les corps s’empilent dans le sous-sol. Une comédie noire, très noire…

Le moins que l’on puisse dire à propos de Cadavres, écrit par Benoît Guichard, d’après le roman de François Barcelo (Éditions Gallimard, 1998), c’est que la critique, autant que le public, sera partagée. Les uns goûteront l’humour noir aux accents scatos, l’esthétique trash et les personnages déjantés, les autres en seront dégoûtés.

Prévue en août, la sortie de Cadavres a dû être repoussée à cause de la faillite de Christal Films. Racheté par Les Films Séville, voilà que le long métrage s’apprête à sortir le 20 février. Bien qu’il ne s’attende pas à un accueil délirant, tel celui que le public avait réservé à Bon cop, bad cop, Érik Canuel se dit très heureux de la tournure des événements. "Je sais que c’est un film difficile, audacieux, assez particulier. C’est le genre de film qu’on ne fait pas ici. Comme notre peuple, il a sa propre identité."

Patrick Huard, dont il s’agit de la troisième collaboration avec Canuel, explique: "Je suis conscient que le film est une bibitte; il a été conçu comme ça et je l’assume bien, donc la réception ne m’inquiète pas parce qu’avec le temps, j’ai appris à gérer mon besoin d’amour."

MA SOEUR, MON AMOUR

Décrit par le réalisateur lui-même comme "un éloge à Tarantino à la rencontre des Coen avec un soupçon de David Lynch à la Jean-Pierre Jeunet canuelien", Cadavres raconte l’histoire d’amour entre Raymond (Huard), un paumé sans envergure, et sa soeur Angèle (Julie Le Breton), actrice sans talent et star de la série télé policière Cadavres ("C’est très drôle et très libérateur de jouer les mauvaises actrices!" lance celle qui a remporté le Jutra de la meilleure actrice pour Maurice Richard), qu’il retrouve un soir d’Halloween alors qu’il vient de tuer leur mère (Sylvie Boucher).

À propos de l’inceste, Canuel avance: "Ce qui m’a allumé dans Cadavres, c’est de pouvoir demander qui on est comme race pour toujours juger avec un code moral qu’on nous a imposé. Jeune, on m’a dit une phrase qui me revient tout le temps: "Les fous sont les fous parce qu’ils sont une minorité, mais s’ils étaient la majorité, est-ce que la normalité serait d’être fou?" Si, pour toi, avoir eu une relation incestueuse avec ta soeur, c’est normal, cool, que tu y as trouvé du bonheur et de l’amour, qui te dit que ce n’est pas correct? C’est le code moral et la religion qui ont décidé que ce ne l’était pas. Comme créateur, j’ai dû me détacher de cela et dire que c’était la normalité. Dans certaines cultures, l’inceste est accepté. C’est l’un des grands tabous de l’humanité."

Celle qui incarne le fruit défendu poursuit: "L’inceste fait partie de ma vie parce que j’ai connu des gens qui l’ont vécu. Peu avant, j’avais joué dans Antigone, alors je m’étais beaucoup interrogée sur le sujet. Ce qui n’est pas clair entre Raymond et Angèle, c’est qu’on ignore si c’est de l’abus ou de l’innocence qui a tourné à vide à cause d’une trop grande soif d’amour."

De son personnage, elle dira aussi: "Angèle a tellement aucune confiance en elle, aucune conscience d’elle-même qu’elle est totalement disjonctée. Elle croit que son personnage à la télé lui donne une importance dans le monde. Elle est un peu schizophrène, mais elle est surtout très enfantine: une seconde, elle rit; une seconde, elle pleure; une seconde, elle pète sa coche; et ensuite, tout est beau. Il y avait zéro psychologie à faire là-dedans, que de l’émotion."

Quant à la nudité frontale, elle avouera: "Dans une scène d’amour où il y a de la nudité, il y a une motivation plus claire, mais là, les motivations d’Angèle d’être nue sont tordues. Elle a tellement besoin de faire de l’effet, d’être aimée, qu’elle utilise même sa nudité avec son frère, ce que j’ai trouvé très troublant. C’était très difficile à faire, car même si ça ne paraît pas, je suis assez pudique, je devais m’assumer comme Angèle. C’était comme se lancer dans un lac glacé."

SOMBRE VILAIN

Aux prises avec un personnage peu bavard, Patrick Huard a dû freiner ses ardeurs, bien qu’Érik Canuel lui ait permis de lancer quelques répliques de son cru: "C’est la troisième fois que je joue un personnage qui bouge peu et parle peu; si je n’avais pas joué ces autres rôles (ceux de Monica la Mitraille et d’Au nom de la loi), je n’aurais pas pu faire celui-là. Je ne juge pas mes personnages, ce n’est pas mon job mais celui du spectateur."

Il ajoute: "Mon personnage pense toujours que ce qu’il fait, c’est correct. Je n’ai pas besoin de l’aimer comme personne mais comme challenge, comme costume à enfiler. Si j’arrive à me voir le faire, c’est que ça me tente, sinon, je ne le sens pas, je ne le fais pas. Comme toujours, j’ai participé au look de mon personnage; c’est ma méthode de travail: je commence de l’extérieur pour aller vers l’intérieur."

Acteur très en demande et réalisateur ayant récolté le plus grand succès en 2007 avec son premier long métrage, Les 3 p’tits cochons, Patrick Huard, qui s’est d’abord fait connaître comme humoriste, n’a pu s’empêcher de taquiner Christian Bégin, qui tient le rôle d’un policier zélé, sur le plateau – rappelez-vous sa sortie contre les humoristes devenus acteurs.

"On a beaucoup ri avec ça, je l’ai un petit peu écoeuré… On se connaît depuis longtemps et on s’aime beaucoup. Je l’ai connu à l’époque où il voulait faire de l’humour. À un moment donné pendant le tournage, je lui ai dit: "Tant d’années d’études pour finir comme moi à faire des jokes de pet"", conclut Huard dans un grand éclat de rire.

En salle le 20 février