Dédé à travers les brumes : Il était une voix
Dédé à travers les brumes, de Jean-Philippe Duval, est un biopic musical à la fois imaginatif, festif et sombre… à l’image de son sujet.
Dix ans avant le suicide d’André Fortin, le réalisateur Jean-Philippe Duval (États humains) avait croisé celui qui allait devenir peu après la voix de sa génération avec le groupe Les Colocs lors du lancement de son premier documentaire La vie a du charme, lequel portait sur l’auteur de L’Hiver de force. La légende veut que Fortin, qui à l’instar de Duval avait étudié en cinéma à l’Université de Montréal, aurait été fasciné par un segment animé du film.
Presque dix ans après la disparition de Dédé, voici qu’arrive sur nos écrans un biopic porté par la musique des Colocs et ponctué de segments d’animation, Dédé à travers les brumes. Plus encore, on y voit Dédé (Sébastien Ricard) en pleine lecture de L’Hiver de force. Clin d’oeil innocent ou référence capitale?
"C’était important pour moi de faire cette citation-là, admet Jean-Philippe Duval. Dédé à travers les brumes et La vie a du charme sont deux films qui se ressemblent au niveau de la forme, des animations. Personnellement, comme cinéaste, j’ai peut-être bouclé quelque chose. Il faut se rappeler que les personnages du roman, un couple qui se retire du monde, se prénomment André et Nicole. Or, Dédé le lisait alors qu’il sortait avec Nicole Bélanger (Bénédicte Décary)."
Comme dans l’oeuvre de Ducharme, l’on trouve dans les chansons des Colocs un savant mélange de ludisme et de gravité: "Il y a beaucoup de rapprochements à faire pour l’acteur. La rythmique de Ducharme et celle de Dédé ont le même débit rapide. Dédé avait ça naturellement. Les gens se sont rendu compte après le suicide à quel point c’était sombre. Dès le premier disque des Colocs, c’est grinçant, arrache-coeur. Toutefois, je crois qu’il y a un idéalisme plus qu’un nihilisme chez Dédé."
Le réalisateur confirme: "Réjean Ducharme a beaucoup influencé Dédé. Ducharme a touché à un thème très universel, celui de l’enfant qui refuse de devenir adulte, et il y a de ça chez Dédé. C’est un peu un angle que j’ai voulu prendre en faisant ce film, celui de l’amoureux idéaliste…"
Plus encore que l’influence de Ducharme, c’est l’esprit de l’harmoniciste Patrick Esposito Napoli, décédé du sida en 1994, qui hante le film: "Dédé a été ébranlé par la mort de Pat, révèle Duval. C’est quelqu’un qui a beaucoup influencé Dédé. Il savait qu’il allait mourir mais il gardait le sourire, il s’amusait – on l’entend rire à la fin de Séropositif boogie. C’était toute une leçon de vie et d’humanité pour Dédé."
"Mike m’a dit qu’après la mort de Pat, Dédé n’avait plus été le même, il était scrap, il avait quelque chose de brisé. Tous étaient très admiratifs de lui. Ce qu’il y a de beau chez eux, c’est qu’ils ne se sont jamais apitoyés là-dessus, ils ont décidé de "buzzer". Et malgré tout, est apparu Dehors novembre…" conclut Sébastien Ricard.
www.fondationandrededefortin.com
www.colocs.qc.ca
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Les Colocs, Last Days de Gus Van Sant, La vie a du charme de Jean-Philippe Duval
DEDE A TRAVERS LES BRUMES
S’il ne fallait garder qu’une scène de Dédé à travers les brumes, ce serait celle de l’agonie de Patrick Esposito Napoli (Dimitri Storoge, émouvant) entouré de Dédé (Sébastien Ricard, se fondant complètement dans son personnage), des Colocs et de la chanteuse Cha Cha da Vinci (Claudia Ferri, animale), qui lui récite des prières bouddhistes. En trame de fond, la chanson Dehors novembre, dont les paroles ne nous auront jamais paru aussi bouleversantes, éclairantes.
C’est d’ailleurs la création du dernier album des Colocs, Dehors novembre, où l’on assiste aux coups de gueule entre Dédé, Mike, Vander (David Quertigniez) et Jimmy (Jonathan Charbonneau) – Mononc’ Serge (Ian Rompré) ayant déjà quitté le navire -, qui sert de point d’ancrage au récit, somme toute classique, construit en flash-back. Certes, on en apprendra peu sur Dédé, mais sa détresse est bien palpable, de même que l’impuissance de son entourage, dont son agent (Louis Saia), face à son désarroi. On risque de rester sur son appétit tant les chansons, accrocheuses, mémorables, prennent toute la place… ou presque. On pourra reprocher à Jean-Philippe Duval de ne pas avoir mis davantage d’animation. Toutefois, force est d’admettre que l’on quitte à regret son beau et rassembleur voyage à travers les brumes.