Le Jour avant le lendemain : Les derniers humains
Dans Le Jour avant le lendemain, de Marie-Hélène Cousineau et Madeline Piujuq Ivalu, une femme inuite et son petit-fils tentent de survivre après la disparition de leur clan.
Fondatrice d’Arnait Vidéo, regroupement de femmes soutenu par Igloolik Isuma Productions (formé par Norman Cohn et Zacharias Kunuk en 1990), la réalisatrice québécoise Marie-Hélène Cousineau connaît bien les valeurs et les traditions inuites puisque depuis 1991, elle invite les femmes inuites à raconter leurs histoires par le biais de la fiction et du documentaire. Pour son premier long métrage de fiction, qu’elle coréalise avec Madeline Piujuq Ivalu et coécrit avec Susan Avingaq, c’est pourtant du côté du Danemark qu’elle s’est tournée.
Dernier volet de la trilogie d’Igloolik (Atanarjuat de Kunuk, The Journals of Knud Rasmussen de Cohn et Kunuk), Le Jour avant le lendemain s’inspire ainsi du roman For morgendagen de l’écrivain danois Jørn Riel, lequel se déroule au Groenland, où les traditions et les légendes sont différentes de celles de la petite communauté du Nunavut: "Après avoir lu ce livre, se rappelle Cousineau, je leur ai raconté l’histoire et elles m’ont dit qu’elles la reconnaissaient comme une des leurs. En fait, cela leur rappelait l’histoire de leur mère, de leur grand-mère; cette histoire de survie était propre à leur vécu."
Susan Avingaq acquiesce: "J’aimais beaucoup l’histoire du Jour avant le lendemain parce que cette femme, Ninioq (Madeline Piujuq Ivalu), me rappelait la force des femmes de ma famille, donc, je me sentais en terrain connu. Pour les besoins de l’adaptation, le plus difficile était de transposer le récit à Igloolik; toutes les histoires que raconte Ninioq à son petit-fils Maniq (Paul Dylan-Ivalu, petit-fils de la réalisatrice), de même que tous les noms des personnages, sont d’Igloolik. Si les gens d’Igloolik ne connaissaient pas si bien leur culture, leurs traditions, jamais ils n’auraient pu comprendre si bien cette histoire, de même qu’ils n’auraient su la rendre à l’écran."
"C’est vraiment une histoire qui les touche, poursuit Cousineau. L’autre plus grand défi, c’était la traduction. J’écrivais d’abord en français, puis le texte était traduit en anglais, et ensuite en inuktitut. Chaque jour, nous retravaillions les dialogues avec les acteurs; je les écrivais en anglais et ils étaient traduits en inuktitut. La traduction ne consiste pas seulement à traduire des mots, mais bien une façon de penser. C’était donc un très long processus."
Ayant joué dans les deux précédents volets, Madeline Piujuq Ivalu partage avec Zacharias Kunuk cette même modestie, c’est-à-dire que ni l’un (qui a pourtant remporté la Caméra d’or avec son premier film) ni l’autre ne se perçoivent comme des cinéastes; ils se voient plutôt comme des conteurs: "Ce qui m’intéresse, c’est d’apprendre de nouvelles histoires et ensuite de les transmettre aux jeunes générations afin que notre culture ne disparaisse pas. Évidemment, j’aimerais continuer à faire du cinéma, car c’est une excellente façon de raconter des histoires."
Marie-Hélène Cousineau et Stéphane Rituit, producteur, répondront aux questions du public ce samedi 28 mars, à 19 h, au Cinéma Beaubien.
À voir si vous aimez /
Nanook of the North de Robert Flaherty, The Way Home de Jeong-hyang Lee
LE JOUR AVANT LE LENDEMAIN
Campé autour de 1840 à Igloolik, Le Jour avant le lendemain raconte, avec une belle économie de mots et force images, tantôt lumineuses, tantôt crépusculaires, du Grand Nord, les ravages de la colonisation des Inuits par l’homme blanc à travers le douloureux destin d’une grand-mère (Madeline Piujuq Ivalu) et de son petit-fils (Paul Dylan-Ivalu), dont le clan fut décimé par une mystérieuse maladie.
Afin de savourer pleinement Le Jour avant le lendemain, il faut laisser de côté le rythme de vie trépidant propre à notre culture occidentale, car dans l’univers que nous présentent Marie-Hélène Cousineau et Madeline Piujuq Ivalu, le temps et l’espace se confondent l’un dans l’autre, formant tous deux un long hiver cruel. En y parvenant, on en sera quitte pour une expédition mémorable au bout de laquelle on reviendra plus riche.