Che : Profession: révolutionnaire
Che, de Steven Soderbergh, est un ambitieux et colossal diptyque porté puissamment par Benicio Del Toro, lauréat du Prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Cannes.
C’est en 1999, sur le plateau de Traffic, où il interprétait un policier mexicain, que Benicio Del Toro confia à Steven Soderbergh son rêve de tourner un film sur Ernesto Guevara. Même s’il connaissait à peine le personnage, le cinéaste ne pouvait dire non à pareille entreprise, laquelle a bien failli ne jamais voir le jour. Désigné comme réalisateur, Terrence Malick, qui avait interviewé le Che en Bolivie en 1966, quitte le projet, jugé non finançable, en 2004; Soderbergh, alors producteur, prend les commandes.
"En finissant mes recherches sur le Che, racontait Benicio Del Toro au Festival de Cannes, je me sentais comme une bête traquée. Je découvrais de plus en plus l’ampleur du personnage. Lorsque Steven m’a dit qu’il serait là, je n’ai pas eu d’autre choix que d’embarquer."
Soderbergh refusant de tourner Che en anglais, Benicio Del Toro s’est alors remis à l’espagnol: "C’est plus compliqué que ça paraît, dévoilait-il, ma langue maternelle est l’espagnol de Porto Rico, que j’ai quitté à 13 ans. Or, Che était un intellectuel argentin, j’ai donc eu beaucoup d’aide pour parfaire son accent."
En mai 2008, un diptyque de plus de quatre heures, en espagnol, atterrit de justesse à Cannes et divise les spectateurs de la Croisette. Certains blâment Soderbergh de dépeindre un homme ordinaire, d’autres, un héros irréprochable.
Joint au téléphone à Los Angeles, Steven Soderbergh défend ses choix: "Évidemment, beaucoup me reprochent de ne pas parler des épisodes sanglants, tel celui de la prison de La Cabaña, ou de ses nombreux voyages; j’aurais pu parler de son implication au Congo. Pour tout couvrir de la vie du Che, il aurait fallu faire un film de 10 heures… et encore…"
Le cinéaste poursuit: "Selon moi, je couvre l’aspect controversé du Che dans la première partie du film où on lui crie des noms. J’ai voulu m’attacher à des petits faits biographiques, comme la scène où il demande un peu de maquillage avant l’entrevue avec une journaliste américaine (Julia Ormond), parce que je crois que c’est en observant les petits gestes d’un homme qui ne se sait pas observé que l’on découvre sa vraie nature."
Si Soderbergh avoue en riant que le tournage ne fut pas aussi difficile que celui d’Apocalypse Now tel qu’illustré dans Hearts of Darkness, celui-ci s’est tout de même fait assez rapidement: "Steven tournait si vite que nous n’avions pas le temps de prendre une douche, mes ongles sont encore sales!" lançait Del Toro à la blague.
Le réalisateur et directeur photo affirme que si le tournage s’est fait rapidement, c’est qu’il a bénéficié d’un précieux allié: "Deux jours avant le tournage, j’ai reçu la caméra HD Red. Sans elle, je n’aurais pas pu faire le film de cette façon!"
Tant par leur structure narrative que par leur format, les deux parties de Che, The Argentine et Guerilla, forment deux touts bien distincts: "J’ai choisi le cinémascope pour la première partie, car je voulais donner un côté rock star au Che lorsqu’il va faire son discours à l’ONU. Le choix du panoramique pour le deuxième volet lui confère un aspect plus personnel puisqu’il est inspiré directement de son Journal de Bolivie. Je me suis permis des sauts avant et arrière dans le temps dans The Argentine, car nous savons tous l’issue de la révolution cubaine. Pour Guerilla, comme personne ne sait vraiment quand est mort le Che, j’ai préféré un récit linéaire afin de tenir le public en haleine. Et si j’ai choisi d’illustrer sa mort d’un point de vue subjectif, c’est que je ne me voyais pas tirer sur Benicio."
Enfin, dans la seconde partie, apparaît brièvement, dans la peau de l’auteur français Régis Debray, Marc-André Grondin: "C’est mon directeur de casting qui me l’a suggéré, se souvient Soderbergh, et en le voyant, son jeu m’a tout de suite plu. Il a fallu que je m’assure qu’il n’ait pas besoin d’être constamment supervisé, car les conditions de tournage allaient faire en sorte que je ne puisse pas m’occuper tout le temps des acteurs. Je me suis fié à mon instinct, et comme très souvent, il ne m’a pas trahi."
À voir si vous aimez /
Diarios de motocicleta de Walter Salles, Souvenirs de la guerre révolutionnaire et Journal de Bolivie d’Ernesto Guevara
CHE
Le coup de foudre pour Che de Steven Soderbergh n’est certes pas garanti, mais une chose est sûre: cet envoûtant biopic anti-hollywoodien en deux parties hantera l’esprit longtemps après la projection. Esthétiquement soignée, l’oeuvre ne suscitera que peu d’émotions, surtout dans la première partie (The Argentine), de loin la plus bavarde mais aussi la plus riche et la plus dense, où l’on suit Ernesto Guevara (Benicio Del Toro, grandiose) lors de son voyage à New York en 1964 et où l’on rencontre Fidel et Raul Castro (Demian Bichir et Rodrigo Santoro, crédibles). Pas plus qu’elle ne provoquera une tension dramatique dans la seconde partie (Guerilla), qui relate de façon linéaire, quasi contemplative, et tournée à hauteur d’homme, la révolution ratée en Bolivie. Toutefois, on ne pourra que constater à quel point le cinéaste brosse avec force petits détails le portrait d’un être humain attaché à ses idéaux et non celui d’un héros révolutionnaire devenu ironiquement une icône de la culture populaire. En résulte une leçon d’histoire bien vivante, malgré les nombreuses pages manquantes.