Tyson : La face cachée de la lune
Dans Tyson, James Toback présente l’une des figures sportives les plus influentes des années 90.
L’homme a le visage tuméfié, la peau flétrie comme le sont nos routes dévastées par l’érosion des saisons. Son nez n’est plus qu’une ruine, ou le symbole pathétique d’une royauté déchue. Son regard est écrasant, d’une lourdeur sans appel. Ses yeux tournent, se détournent dans leur orbite. Quelque part au fond de ses yeux, une flamme refuse cependant de s’éteindre tout à fait. Autrefois, certains y ont forgé un champion, un grand champion. Autrefois… Mais voilà une autre chose que n’aura jamais pu, jamais su terrasser de ses poings le boxeur Mike Tyson. Une chose pernicieuse qui se tapit aujourd’hui encore derrière son regard troublé, attendant son heure, qui vient périodiquement, et toujours trop vite. Et alors…
Et alors se trouble le parcours parfait d’une légende de la boxe, s’effrite un règne remarquable, s’effondre un rêve devenu réalité. La légende n’est plus, l’homme, totalement effrayé, abandonné à ses peurs primaires, devient animal, monstre. Qui est Mike Tyson? D’où vient-il? Pourquoi, mais pourquoi donc s’est-il si assidûment attardé à ruiner sans cesse sa carrière, et sa vie? Voilà autant de questionnements sur lesquels table le film Tyson du cinéaste James Toback pour mieux explorer les dédales d’une âme complexe, dramatiquement dominée par la peur.
Le portrait de cet homme singulier, Toback le fait avec minutie, s’attardant même, en certaines scènes magnifiques où se dévoile un Mike Tyson à fleur de peau, à une exploration poétique de la face cachée de la lune. Le puzzle se résout peu à peu, et certaines figures d’importance se découvrent tacitement. La première, celle de Cus D’Amato, que Tyson considérait comme son père, est emportée par la Faucheuse à l’aube du couronnement de son poulain; la seconde, Mohamed Ali, frappé d’incapacité, ne peut lui venir en aide lorsqu’il l’aurait certainement fallu; la troisième, Don King, l’abandonne sauvagement au moment même où sa détresse atteint de nouveaux sommets.
Par-delà ces trois figures filantes qui traversent l’existence de Mike Tyson au cours des années, s’exécute en filigrane l’autopsie d’une certaine humanité, à laquelle Toback adhère également comme témoin et comme sacrificateur. En ne refusant pas tout à fait d’observer Tyson tel que le monstre qu’il est devenu aux yeux de plusieurs, Toback place consciemment le spectateur en sa compagnie, sur le banc des accusés. Qu’est-ce que Mike Tyson, si ce n’est tout ce qu’il y a de mieux, mais aussi tout ce qu’il y a de pire en la bête humaine?
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