Festival de Cannes : Sea, sex & sang
Cinéma

Festival de Cannes : Sea, sex & sang

Au menu du 62e Festival de Cannes: vampires affamés, femmes violentées, sexes mutilés et gorges coupées… Un peu plus et on croirait que Fantasia a transporté ses pénates sur le bord de la Méditerranée.

Après avoir vu certains films de la compétition, on croit comprendre pourquoi les programmateurs du Festival de Cannes ont jeté leur dévolu sur le charmant film d’animation 3D Up de Pete Docter afin d’ouvrir le bal. De fait, à mi-parcours, elle est bien loin l’image des graciles ballerines tenant des ballons de couleur sur le tapis rouge le soir de l’ouverture – où les badauds rassemblés au pied des marches, attendant vainement des stars du calibre des Brad Pitt, Penélope Cruz et Johnny Hallyday, ont dû se contenter de l’Huppert présidente flanquée de son jury, des starlettes à profusion et, fermant la montée des marches, du vénérable Charles Aznavour, qui prête sa voix au personnage principal des versions française et québécoise d’Up.

Revenons à l’idole des Français afin d’évacuer tout de suite le méchant: s’il existait un prix de la pire interprétation masculine, sans doute que Djeuhnny le remporterait haut la main. Interprétant un tueur à gages chez Johnnie To, l’Elvis gaulois a la gueule de l’emploi, mais il est si peu habité qu’on dirait une coquille vide. "Johnnie et moi avons une passion commune pour Jean-Pierre Melville, le polar noir et une certaine forme de cinéma américain, mais ceci n’est pas une copie, c’est du Johnnie To", a expliqué Hallyday devant la presse. Polar bien troussé comportant de très belles scènes nocturnes, Vengeance souffre d’un scénario aux revirements maladroits et de répliques risibles lancées pompeusement. Delon a eu du pif en refusant le rôle…

Ayant séduit Cannes en 2004 avec le jouissif et explosif Old Boy, Park Chan-wook déçoit quelque peu avec son histoire de prêtre vampire empruntant à Thérèse Raquin de Zola: "En associant le naturalisme au vampirisme, cela donne un film fantastique, et en associant un roman au vampirisme, cela donne un film de vampires littéraire", a expliqué le réalisateur. Hélas, Thirst, ceci est mon sang… (Bak-Jwi) paraît… exsangue malgré ses effets gore bien "giclants".

Ça gicle aussi dans Kinatay de Brillante Mendoza, où l’on assiste à la longue, pénible et sauvage exécution d’une prostituée. Certes, le travail sur le son est intéressant, comme dans le précédent Serbis, donnant l’impression de se retrouver dans les rues grouillantes de Manille, mais le tout s’avère désagréablement complaisant.

Le film qui a créé le plus de réactions, positives comme négatives, demeure Antichrist de Lars von Trier où, au cours d’un séjour dans la forêt, une femme endeuillée (Charlotte Gainsbourg) écrabouille notamment les parties génitales de son mari (Willem Dafoe) avant de se livrer elle-même à un geste qui a fait crier d’horreur plusieurs spectateurs – on a dû faire venir le SAMU! "Je suis le meilleur cinéaste du monde et je n’ai pas à me justifier", a lancé le réalisateur danois, dont le film aux riches qualités esthétiques pourrait lui faire obtenir un prix prestigieux. Huppert, qui a joué dans La Pianiste de Haneke, est bien placée pour goûter cet insoutenable cauchemar.

À mi-parcours, c’est toutefois Un prophète de Jacques Audiard, drame carcéral où un Corse (Niels Arestrup!) prend un jeune Arabe (Tahar Rahim) sous son aile – on y voit un meurtre à la lame de rasoir qui en a fait frémir plus d’un -, qui est pressenti pour la Palme d’or. Son plus sérieux rival: le bouleversant portrait d’ado rebelle Fish Tank d’Andrea Arnold, digne héritière de Leigh et Loach, porté par l’impressionnante Katie Jarvis, qui mériterait bien le prix d’interprétation. Autre réalisatrice en compétition, Jane Campion signe Bright Star, un joli mais rigide – quoique rafraîchissant au milieu de toute cette violence – compte rendu des amours de l’exalté poète Keats (Ben Wishaw).

Dans un tout autre registre, Imelda Staunton est hilarante dans Taking Woodstock d’Ang Lee, qui jette un regard amusé et tendre sur l’été 69. À l’instar du cinéaste taïwanais, l’Anglais Ken Loach délaisse le drame pour offrir l’irrésistible et touchante comédie à saveur sociale Looking for Eric, où Steve Evets brille en facteur dépressif au côté de l’ex-joueur de foot Eric Cantona, qui se prête avec générosité au jeu de l’autodérision.

Alors que Lou Ye, dont le Nuits d’ivresse printanière s’est révélé bien moins sulfureux qu’on nous le promettait, continue à tourner malgré que le gouvernement chinois lui eut interdit de le faire depuis son Summer Palace, Pedro Almodóvar défend les droits des réalisateurs dans Los Abrazos Rotos (Étreintes brisées), où Penélope Cruz trouve encore un très beau rôle, celui d’une actrice jouant dans un film rappelant Femmes au bord de la crise de nerfs. "Ce n’était pas pour faire un hommage à moi-même, a révélé le bavard Madrilène. Je trouvais que cette comédie offrait un plus grand contraste avec la vie de ces gens de cinéma… En plus, je n’avais pas besoin de droits d’auteur."

Enfin, à la Quinzaine des réalisateurs, Polytechnique de Denis Villeneuve a reçu un bel accueil, et J’ai tué ma mère de Xavier Dolan, de même que l’interprétation bien sentie d’Anne Dorval, des applaudissements chaleureux. Ce jeudi, ce sera au tour de Denis Côté et son portrait de ferrailleur, Carcasses, de faire leur tour sur la Croisette.

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