J'ai tué ma mère : L'enfant terrible
Cinéma

J’ai tué ma mère : L’enfant terrible

J’ai tué ma mère, le premier film du jeune Xavier Dolan, a fait sensation à la Quinzaine des réalisateurs. Rarement un réalisateur aura si bien investi son argent de poche…

"Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en!" dit-on… D’accord, mais à force de parler du premier film de Xavier Dolan, ne sommes-nous pas en train de le tuer? Ou, encore, de provoquer une "écoeurantite" aiguë chez le public qui entend parler de ce film-cendrillon depuis son incroyable aventure cannoise?

"J’avoue que j’ai eu peur…, se souvient Anne Dorval. À Cannes, on avait envie de célébrer ce formidable représentant du Québec, mais de retour à Montréal, allait-on oublier que le film avait coûté 800 000 dollars, que Xavier n’avait pas totalement fait tout ce qu’il voulait, faute de temps et d’argent?"

J’ai tué ma mère a raflé trois des quatre prix de la Quinzaine et la prestation d’Anne Dorval a mérité de chaleureux applaudissements. Qui plus est, cette première oeuvre à forte saveur autobiographique était parmi les favorites pour la très convoitée Caméra d’or. Tout de même, les médias auraient-ils fait tout un plat de J’ai tué ma mère?

"J’ai l’impression que je n’étais pas dans mon corps, se souvient Anne Dorval. On se pinçait toute la gang. Un mois avant, on n’avait même pas de distributeur et je me demandais si on allait vraiment le voir un jour. Et paf! Tout a déboulé! C’était la fête et tout le monde se réjouissait pour nous."

L’actrice, qui a réécrit certains des dialogues avec Dolan, poursuit: "Xavier est un modèle! Il a une conscience très poussée de l’être humain et c’est ce qui m’a jetée à terre lorsque j’ai lu son scénario qu’il a écrit à 17 ans. Ma fille de 14 ans le voit comme un modèle et parce que je suis associée à cet homme de 20 ans, qui n’a pas d’âge au fond, j’ai l’impression qu’elle a un peu plus d’admiration pour moi. Je crois que les gens sont très fiers d’être représentés par un jeune artiste d’une telle éloquence, intelligence, sensibilité. Ils souhaitent donc protéger Xavier et non le tuer."

Visiblement éreinté par les entrevues qu’il donne sans compter, Dolan explique: "Lorsque je lis dans le Variety que dans 10 ans je vais vomir sur mon film parce qu’il est bourré d’erreurs de novice, je trouve cela méprisant. Peut-être s’imaginent-ils que je ne suis pas conscient de mes erreurs, des longueurs du film? J’accepte la critique et en tant que perfectionniste, j’ai très hâte de m’attaquer à mon deuxième film afin de ne pas refaire les mêmes erreurs et d’améliorer ce que j’ai réussi. Cela dit, je ne changerais pas J’ai tué ma mère."

Allant jusqu’à reconnaître que le récipiendaire de la Caméra d’or la méritait plus que son film, Xavier Dolan se montre tout aussi catégorique lorsqu’on lui demande s’il craint que J’ai tué ma mère soit catalogué "film gay". "Mon personnage, gay ou pas, a une histoire: il hait sa mère, dit-il. Son orientation sexuelle est purement accessoire, c’est un trait de personnalité et non sa raison de ne pas aimer sa mère. C’est un film sur la haine infantile, l’incompatibilité."

Bien avant que le film soit montré à la presse, une rumeur circulait à l’effet que J’ai tué ma mère se révèle le seul fait d’armes d’un jeune prodige. Là encore, la réponse ne se fait pas attendre: "J’avais peur d’être à sec après J’ai tué ma mère, et je me suis même demandé si j’avais de l’imagination. Or, en écrivant Laurence Anyways – qui n’a rien d’autobiographique! -, je me suis rendu compte que d’écrire sur des choses qui sont loin de moi m’inspirait beaucoup."

Xavier Dolan entreprendra cet automne le tournage de Laurence Anyways, l’histoire d’un couple (Yves Jacques et Suzanne Clément) qui voit son amour bouleversé lorsque monsieur souhaite changer de sexe. D’ici là, J’ai tué ma mère partira à la conquête des écrans d’ici et d’Europe…

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J’AI TUÉ MA MÈRE

Égocentrique et exalté, Hubert (Xavier Dolan, d’un naturel sidérant) n’en peut plus de sa mère (Anne Dorval, dangereusement en forme). Que lui reproche-t-il? Pas grand-chose: son style vestimentaire, sa décoration et ses manières à table. Pourquoi tant de haine alors? Bah, vient un jour où Maman chérie nous exaspère… Cette exaspération, où se tait un grand cri d’amour, l’enfant gâté féru de poésie la confesse en une suite d’apartés redondants à la caméra et la couche sur papier. Et puis quoi encore? Pas grand-chose: en dehors des dialogues écrits avec panache, que Dolan et Dorval savourent goulûment comme des bonbons acidulés, le récit piétine bientôt et se révèle un enchaînement de chicanes au p’tit-déj, dans l’auto, alouette. Heureusement, au fil des cadrages recherchés rappelant le peintre Jean-Paul Lemieux, des clins d’oeil (appuyés) à Wong Kar-wai et de la trame sonore évoquant les mélodies mélancoliques de Yann Tiersen, on découvre un cinéaste qui cherche encore sa signature mais qui a certes trouvé sa voie.