Festival Fantasia / Thirst, ceci est mon sang : Le rouge et le noir
Parmi ses 130 films, la 13e édition du Festival international de films Fantasia présente en primeur nord-américaine le nouveau long métrage du Sud-Coréen Park Chan-wook, réalisateur d’Old Boy, Thirst, ceci est mon sang, où un prêtre goûte littéralement aux plaisirs de la chair… et du sang.
Lauréat du Grand Prix en 2004 au Festival de Cannes pour Old Boy, le cinéaste Park Chan-wook a dû partager les honneurs cette année en remportant le Prix du jury ex æquo pour Thirst, ceci est mon sang (Bakjwi) avec Fish Tank de la réalisatrice anglaise Andrea Arnold. Film de vampires aux effets gore bien dégoulinants empruntant audacieusement à Émile Zola, Thirst met en scène Sang-Hyun (Song Kang-ho, The Host de Bong Joon-ho, Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-wook), prêtre devenu vampire après avoir reçu une transfusion sanguine alors qu’il s’était porté volontaire pour tester un vaccin contre un virus mortel.
Bien qu’il lutte contre sa nouvelle nature, Sang-Hyun n’a pas le choix que de s’abreuver de sang. Pour ajouter à ses tourments, il tombe sous le charme de la belle Tae-Ju (Kim Ok-bin), épouse de son ami d’enfance vivant sous le joug de sa belle-mère tyrannique. Lasse de son flanc-mou de mari, la jeune femme signifiera bientôt à son vampire d’amour qu’elle aimerait bien partager son mode de vie.
Caressant ce projet de film depuis une dizaine d’années, le réalisateur du segment Cut du collectif Three… Extremes expliquait en conférence de presse à Cannes, où l’on discutait vampirisme, christianisme et naturalisme, qu’il avait voulu éviter les clichés propres aux films de vampires, telles la couronne d’ail et la croix. Certes, vous me direz que la romancière Stephenie Meyer a voulu en faire autant, mais sachez que tout un univers sépare Thirst de Twilight.
À propos de son intérêt pour les films de vampires, Park Chan-wook, qui cite Nosferatu de Murnau comme son film du genre préféré (il aime également le remake de Herzog), a avoué: "Habituellement, les vampires sont montrés comme des êtres sensuels à qui leurs victimes offrent passionnément leur sang, et c’est cela qui attire les gens. Je voulais traiter du fait de tuer pour sa survie, faire un film esthétique et psychologique où l’on ressent la souffrance et la réalité froide du personnage. Ce dernier ne connaît pas la provenance du sang contaminé, de cette maladie; je trouve que cela ressemble à notre vie et que ce prêtre obligé de commette le péché de tuer se révèle un reflet de la société."
Le réalisateur a par la suite expliqué pourquoi il avait d’abord voulu faire ce film: "Je voulais filmer les cinq sens. Par exemple, dans la scène où Sang-Hyun découvre qu’il est un vampire, tous ses sens sont accrus: il entend, voit, sent des choses de façon plus puissante que le commun des mortels. Toutefois, cela provoque chez lui une grande souffrance."
Après avoir lancé en riant qu’il aimerait bien que le Vatican s’intéresse à Thirst autant qu’au Da Vinci Code et à Angels & Demons, le réalisateur de la jouissive trilogie de la vengeance (Sympathy for Mr. Vengeance, Old Boy, Grand Prix à Cannes en 2004, et Lady Vengeance), laquelle fait paraître Thirst quelque peu exsangue, a ainsi parlé du choix de son personnage central:
"Je cherchais le métier le plus humaniste qui soit et j’ai alors eu l’idée d’un prêtre qui devra s’abreuver du sang des autres pour survivre. Ce n’est ni une critique de l’Église catholique ni une charge contre elle. Il est vrai que dans une scène, je mets l’accent sur une coupe de vin comme s’il s’agissait d’une coupe de sang, mais c’est seulement une blague. Je n’ai jamais voulu associer le christianisme au vampirisme, j’ai d’ailleurs appris le titre français du film une fois arrivé à Cannes."
Enfin, sur la présence surprenante de références au roman Thérèse Raquin de Zola, Park Chan-wook a répondu ceci: "Je suis un grand admirateur de Zola. C’est incroyable que ce jeune homme de 26 ans ait pu écrire ce roman qui pose un regard si cruel sur la société. J’aurais voulu pouvoir écrire ce roman! Associer le naturalisme au vampirisme donne un film fantastique et associer un roman au vampirisme donne un film de vampire littéraire."
Les 10 et 12 juillet, au Théâtre Hall
Festival international de films Fantasia
Du 9 au 29 juillet
www.fantasiafest.com
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PIERRE CORBEIL SUR L’AVENIR DE FANTASIA
Bien que Fantasia célèbre sa 13e édition, ce n’est que depuis 2005 que le festival reçoit des subventions du gouvernement du Québec. Fidèle à ses engagements, Québec apporte son soutien financier encore cette année, soit 110 000 $. Le hic, c’est qu’il s’agit de la même somme que l’an dernier. La raison invoquée? Nulle autre que la récession. Devrions-nous nous inquiéter à propos de la 14e édition?
Au bout du fil, le ton de Pierre Corbeil, président de Fantasia, se fait calme et rassurant: "Notre détermination est très grande et nous allons continuer encore plusieurs années, alors, oui, il y aura une 14e édition. Nous y arriverons avec les moyens du bord. Notre problème, c’est que le modèle d’affaires n’est pas viable à long terme. Aussi, le défi avec Fantasia, c’est que ce n’est pas un festival facilement appréciable puisqu’il s’adresse en grande partie aux goûts des cinéphiles dans la vingtaine et la trentaine; en somme, c’est une question générationnelle."
Il poursuit: "Il faut comprendre que le cinéphile de 2009 est différent de celui d’il y a 30 ans. Il existe encore une place importante pour le cinéma d’auteur, le cinéma contemplatif, mais comme nous vivons dans une société toujours plus rapide, le cinéphile recherche ce rythme au cinéma. De plus, Fantasia comble aussi le désir de découvrir le cinéma international."
Cette tendance, on la sent très bien dans les plus grands festivals du monde. On n’a qu’à penser aux Johnnie To et Park Chan-wook, qui font partie de la grande famille cannoise, ou à Hayao Miyazaki, dont le magnifique Spirited Away remporta en 2001 l’Ours d’or à Berlin, trois cinéastes bien connus de l’ardent public fantasiesque. Au dire de Pierre Corbeil, cet intérêt grandissant pour ce cinéma s’avère plus positif que négatif pour Fantasia.
"Cela attire chez nous plus de spectateurs intéressés par ce cinéma, et comme la production augmente, nous pouvons continuer à mettre la main sur des films de qualité. Évidemment, parmi les films figurant sur notre wish list, certains atterriront dans des festivals plus connus que le nôtre."
Parlant de compétition, Pierre Corbeil avance: "On ne veut pas remplacer les autres festivals à Montréal et nous n’avons jamais eu de chicanes à propos des films. Fantasia est en bonne complémentarité avec ces festivals; en Amérique du Nord, Fantasia est le leader dans le genre, mais il pourrait être surpassé par le Fantastic Fest d’Austin, l’épicentre des geeks, ou l’After Dark Festival de Toronto si le gouvernement du Québec ne nous donne pas plus. Avec plus d’argent, nous pouvons avoir plus d’invités et ainsi rayonner davantage dans les médias et l’industrie, tout en attirant encore plus de spectateurs."
Si l’avenir peut paraître incertain à long terme, Fantasia enregistrait toutefois un record de 91 000 spectateurs l’an dernier. Pour sa 13e édition, le festival s’est même permis d’ajouter 2 jours à son horaire et d’offrir 130 longs métrages et 12 blocs de courts métrages. Mis en ligne vendredi dernier, le site du festival a reçu tellement de visiteurs qu’il a été paralysé pendant une douzaine d’heures. Voilà qui augure bien pour la vente des billets…
"Je n’ai aucune inquiétude, ce sera un grand succès. Nous sommes au meilleur de notre forme et nous n’avons pas l’intention de lâcher. Nous allons faire encore plus d’efforts pour convaincre de la nécessité d’un festival tel que Fantasia", conclut Pierre Corbeil.
EN VRAC
YATTERMAN
De Takeshi Miike (Japon)
En guise de film d’ouverture, Fantasia offre une adaptation ambitieuse, déjantée et colorée d’un manga des années 1970 par l’un des réalisateurs chouchous du festival, Takeshi Miike. Aidé de la fille d’un explorateur disparu, un jeune couple doit lutter contre la méchante Dorongo (Kyoko Fukada, la star de Kamikaze Girls) et ses sbires qui veulent mettre la main sur un mystérieux crâne. Du Terry Gilliam à la puissance mille… nappé de sauce gnan-gnan.
Les 9 et 14 juillet, au Théâtre Hall
TERRIBLY HAPPY
De Henrik Ruben Genz (Danemark)
Contraint de travailler dans un bled perdu, un policier au passé trouble (Jakob Cedergren) découvre que les habitants ont une étrange façon de régler leurs problèmes. Un savoureux thriller combinant humour noir, atmosphère étouffante et personnages tordus. En prime: Kim Bodnia, vedette de Pusher, inquiétant en batteur de femmes.
Les 9 et 16 juillet, à J.A. de Sève; le 17 juillet, à la Cinémathèque québécoise
LOVE EXPOSURE
De Sion Sono (Japon)
Si vous ne devez voir qu’un film à Fantasia, c’est celui de Sion Sono, réalisateur de Suicide Club et de Strange Circus. Notez toutefois que cette histoire d’amour du fils d’un prêtre assoiffé de sexe (décidément!) pour sa belle-soeur délinquante en qui il reconnaît la Vierge Marie, où l’on traite de péchés et perversions, dure quatre heures… Mais vous êtes folle, me direz-vous! Pas du tout: c’est si captivant, si vivant, si rempli de revirements que l’on ne voit pas le temps passer. Un must, vous dis-je!
Le 11 juillet, au Théâtre Hall; le 12 juillet, à J.A. de Sève
THE IMMACULATE CONCEPTION OF LITTLE DIZZLE
De David Russo (États-Unis)
Après s’être gavés de biscuits pas encore prêts à être mis sur le marché, des concierges tombent enceints de créatures marines. Si la prémisse s’annonce prometteuse, l’ensemble démarre si lentement et se développe si laborieusement, malgré des moments qui valent le détour, que David Russo n’arrive pas à explorer à fond son sujet. Heureusement, la fin laisse entendre qu’une suite est possible…
Le 13 juillet, au Théâtre Hall
EVIL SPIRIT: VIY
De Park Jin-sung (Corée du Sud)
Si vous avez eu la chance de voir la version de 1967 de Viy à Fantasia, sans doute qu’en attendant le remake russe, vous serez intéressés par cette variation sur les thèmes de l’art et de la vie qui prend sa source dans la nouvelle de Gogol. Si le film de Park Jin-sung se révèle par moments fastidieux et prétentieux, force est de reconnaître toute l’irrésistible poésie et la prenante mélancolie qui en émanent.
Les 12 et 13 juillet, à J.A. de Sève
HELLS
De Yoshiki Yamakawa (Japon)
Percutée par une automobile en voulant sauver un étrange chat, une adolescente se retrouve par erreur aux enfers. Le délire hallucinatoire qu’est cet anime japonais de Yoshiki Yamakawa grappille avec bonheur du côté de la Genèse, d’Alice au pays des merveilles et du Magicien d’Oz. Même Elvis y est mis à contribution! Un voyage en enfer dont on revient sonné mais comblé.
Les 16 et 22 juillet, au Théâtre Hall
ÉROTICO-NIPPON
En collaboration avec Fantasia et Ciné-Asie, la Cinémathèque québécoise présente 13 films érotiques japonais, ou pinku eiga ("cinéma rose" en japonais). Très populaires dans les années 1960 et 1970, les pinku eiga furent créés par les grands studios japonais pour contrer l’avènement de la télévision; dans les années 1960, ils constituaient 50 % de la production cinématographique nippone.
Se trouvent notamment au programme quatre films de Noboru Tanaka, dont J’ai envie de vivre qui s’attache aux tribulations d’une jeune prostituée fantasque des bas-fonds d’Osaka. Un film brut aux airs de documentaire considéré comme le chef-d’oeuvre du réalisateur. Pour cinéphiles avertis. (Du 15 au 26 juillet)
En complément de programme, la Cinémathèque propose l’exposition L’Empire du désir, affiches de films érotiques japonais à la salle Norman McLaren. L’expo regroupe 47 affiches de films softcore et romans pornos des années 1960 et 1970 provenant du National Film Center de Tokyo; le documentaire Ciné Éros: Made in Japan d’Yves Montmayeur y est projeté en boucle. (Jusqu’au 21 août)