Tetro : Tuer le père… et la critique
Cinéma

Tetro : Tuer le père… et la critique

Avec Tetro, Francis Ford Coppola renoue avec le drame familial et signe son premier scénario en 30 ans.

Voir: On a beaucoup dit que Tetro était un film autobiographique. Le père cruel et vaniteux du film est, comme le vôtre, un chef d’orchestre réputé.

Francis Ford Coppola: "Je me suis inspiré de certains aspects de ma vie. Mon père prenait beaucoup de place, mais ce n’était pas un être torturé ou sadique. Cela dit, j’ai déjà entendu des proches dire: "Il n’y a de place que pour un seul génie dans cette famille." C’est une phrase qui m’a marqué et que j’ai donc incluse dans les répliques du film."

Pourquoi avoir choisi l’Argentine comme théâtre de ce film?

"C’est une histoire qui aurait très bien pu se dérouler aux États-Unis. Mais je trouvais qu’un cadre plus latin était plus propice au romantisme du film. Et puis, ça crée une certaine distance entre le film et le public. On est dans un décor moins familier, plus étrange, qui vient appuyer l’action."

Il y a dans Tetro une critique nommée Alone (Carmen Maura) qui tient un rôle important dans le déroulement de l’action.

"Alone est un composite de deux critiques sud-américains qui ont eu beaucoup d’influence dans les années 1960. Le premier était un Chilien auquel j’ai emprunté le patronyme. L’autre était une femme, Victoria Ocampo Aguirre, critique et éditrice proche de Neruda. Alone est un personnage fort et intelligent qui représente la validation, l’approbation du public. Elle est le mentor de Tetro, mais il doit s’en détourner, comme il le fait avec son père, afin de devenir un artiste à part entière. Vous savez, ce n’est pas la critique qui décide si une oeuvre est bonne ou mauvaise. Lorsque Bizet est mort, Carmen était un flop!"

Et personnellement, quelle est votre relation avec la critique?

"Je suis à un stade de ma carrière où les festivals ont pris l’habitude de me décerner des prix honorifiques pour célébrer l’ensemble de mon oeuvre. Ça me fait un peu peur puisque ma carrière n’est pas terminée. Je n’ai pas particulièrement besoin d’accolades, j’en ai assez reçu. Quant aux mauvaises critiques, je comprends fort bien qu’on puisse ne pas aimer mes films. Mais je crois que la valeur d’un film n’est pas quelque chose qui se définit nécessairement dans l’immédiat."

Vous vous targuez d’être, malgré votre impressionnante carrière, un réalisateur indépendant, qui reste loin des frasques hollywoodiennes. Que pensez-vous de l’état actuel du cinéma indépendant?

"C’est vrai que je ne suis pas, à la base, un réalisateur de gros studios. J’ai souvent fait des films à petit budget avec des vedettes qui n’étaient pas les superstars du moment. Je trouve que nous traversons une période difficile pour ce genre de cinéma. Le public est peureux. Il est de plus en plus conservateur. Nous vivons à l’heure du cynisme. Le grand public a subi un lavage de cerveau par les sitcoms et les méga-productions. C’est comme si les gens avaient peur des émotions. Dans ce contexte, un film comme le mien, assez mélodramatique, peut être perçu comme prétentieux et circonspect. Je ne dis pas non plus qu’il n’y a que des mauvais films qui se font. Mais ce serait plus difficile pour un Kurosawa de percer aujourd’hui."

ooo

TETRO

Pour Tetro, Francis Ford Coppola a renoué avec sa fascination pour les sagas familiales. Les liens du sang y sont malmenés par le choc des ego, surdimensionné du côté du père, maestro abusif, ou blessés du côté de ses fils. Bennie, interprété par Alden Ehrenreich, jeune premier dicapriesque qui vole la vedette du film, part en Argentine à la rencontre de son frère, Tetro, interprété par Vincent Gallo, magnétique dans le rôle de l’artiste torturé. Après les retrouvailles, Bennie découvre une pièce qu’a écrite son frère, récit autobiographique levant le voile sur des secrets de famille. Coppola tente de nous livrer un huis clos, mais on le sent claustrophobe. À mi-film, il nous transbahute des grands espaces de la Patagonie aux allées sombres de Buenos Aires. Filmé de manière somptueuse, en noir et blanc, ce film change malheureusement trop souvent de registre, hésite trop entre la subtilité et la grandiloquence, entre l’authentique et le mélo pour que ce soit un grand Coppola.