Détour : Contre un coin d'paradis…
Cinéma

Détour : Contre un coin d’paradis…

Avec Détour, Sylvain Guy revisite le genre du film noir et se lance à la recherche du paradis perdu…

Il y avait longtemps que le nom de Sylvain Guy (The List), que l’on connaît surtout pour les scénarios de Monica la Mitraille et de Liste noire, n’avait refait surface dans l’univers cinématographique québécois. On sait maintenant pourquoi: le réalisateur préparait tout bonnement son second long métrage, Détour, film noir mettant en vedette Luc Picard, Guillaume Lemay-Thivierge et Isabelle Guérard.

Léo Huff (Luc Picard) est un personnage misérable, qui croupit dans un immobilisme total alors qu’il est à la fois contrôlé par sa femme, Maryse (Suzanne Champagne) et écrasé par sa patronne, Lyne Ventura (Sylvie Boucher). Lorsque l’occasion se présente à lui de prendre le large, ne serait-ce que le temps d’un bref séjour au Bic, Léo n’hésite pas une seconde. Sur place, il fait la rencontre de Lou (Isabelle Guérard), jeune femme séduisante dont il tombe éperdument amoureux, mais aussi celle de Roch (Guillaume Lemay-Thivierge), son copain ultraviolent, et également jaloux. Porté par l’espoir de goûter à une autre vie que la sienne, Léo prolongera son voyage et tentera par tous les moyens de retrouver sa liberté perdue…

"Je suis quelqu’un qui lit beaucoup de romans noirs, raconte d’entrée de jeu le scénariste-réalisateur Sylvain Guy. Je suis un grand admirateur des films de Billy Wilder (Sunset Boulevard, Double Indemnity) et des romans de Jim Thompson (The Killer Inside Me, Savage Night). Ce que j’aime particulièrement, c’est toute l’ambiguïté morale que ces oeuvres mettent de l’avant, cette façon toujours renouvelée de présenter les revers du rêve américain… L’une des choses qui m’intéressaient au départ, c’était de prendre ce type de récit et de l’ancrer ici, au Québec. De l’emmener dans nos zones à nous."

La grande majorité du film Détour se déroule ainsi dans le magnifique village du Bic, ici le véritable contrepoint d’un récit hideux, sombre, noir: "Le Bic, pour moi, c’est pratiquement un personnage, confie le cinéaste. C’est l’état auquel doit revenir Léo, qui est un être archidomestiqué, contrôlé tour à tour par sa femme et par sa patronne. Il doit retrouver celui qu’il a été, l’être un peu sauvage qui dort en lui. Mais toute cette liberté qu’il retrouve en bloc, c’est trop d’un seul coup. Ça lui rentre dedans, littéralement, même si on peut dire que c’est grâce à ça qu’il recommence à vivre."

Léo Huff, l’antihéros classique de ce type de récit, est interprété par Luc Picard, associé de longue date dans ce projet. "Sylvain m’a appelé il y a quatre ou cinq ans pour me proposer le scénario, se rappelle l’acteur. Au fil des années, l’histoire s’est transformée, et puis on a finalement eu le financement. Ensemble, on a retravaillé le personnage de Léo, qui avait un côté comique très important au départ. Puisque ce n’était pas exactement ce que Sylvain recherchait, on lui a redonné davantage d’ambiguïté, de nuances. On a beaucoup supprimé le côté ridicule de Léo."

Même s’il avoue qu’il peut être épuisant de jouer un personnage constamment en retenue, l’acteur se dit choyé d’avoir eu la chance d’avoir ce rôle: "On est beaucoup appelé, au Québec, à jouer du cinéma-vérité, un cinéma qui est collé sur le réalisme. Avec un film comme ça – un film de genre -, tu peux te permettre une composition d’acteur un petit peu plus "jazzée", te servir davantage de tes habiletés, installer quelque chose de plus artistique dans la performance elle-même. C’est vraiment tripant, même si c’est certain que c’est plus dangereux."

Au final, pari tenu pour Sylvain Guy qui propose, avec Détour, un récit pathétique, désespérant, un véritable film noir… québécois. "Tous les personnages du film sont à la recherche d’un petit coin de paradis, même si le prix à payer en retour peut être très élevé", résume le réalisateur, un vague sourire sur les lèvres.

Et si Balzac disait: "Ça n’a pas été une fameuse spéculation", en parlant d’Adam qui vendit le paradis pour une pomme, c’est en cela, justement, que se joue véritablement le drame de Détour – et du film noir, plus globalement…

À voir si vous aimez /
Cadavres d’Érik Canuel, Wild Things de John McNaughton, Basic Instinct de Paul Verhoeven

ooo

DÉTOUR

L’intérêt principal du film Détour devrait – théoriquement – résider en sa démarche supposément ludique d’un point de vue cinéphilique, laquelle consiste à revisiter le film noir, à jouer avec ses codes connus et reconnus, et à adapter le tout à la sauce québécoise. Des revirements de situations prévisibles (la femme fatale… la fin tragique…), des dialogues sans substance, une réalisation minimale (mise en scène sans direction, compositions de cadres sans saveur) et une direction photo approximative (des noirs "brûlés", non mais!) réduisent cependant l’expérience à bien peu de choses, 95 longues minutes plus tard. Si Luc Picard se tire plutôt bien d’affaire dans la peau de cet énigmatique Léo Huff (qui est-il, au fait?), on ne peut en dire autant de Guillaume Lemay-Thivierge, prisonnier d’un personnage grossièrement défini qui verse continuellement dans un burlesque franchement dissonant.