Festival international du film de Toronto : Échos de Toronto
Cinéma

Festival international du film de Toronto : Échos de Toronto

Jusqu’au 19 septembre, le Festival international du film de Toronto (TIFF) propose, en plus de ses plus prestigieuses prises cannoises, dont le très puissant drame carcéral Un prophète de Jacques Audiard, quelques alléchantes primeurs.

Si la récession n’a pas trop bouleversé le Festival de Cannes en mai dernier, il semble toutefois que le TIFF en soit quelque peu marqué. Évidemment, les stars sont au rendez-vous: la reine des talk-shows Oprah Winfrey, productrice de Precious de Lee Daniels, film très bien accueilli par la critique, George Clooney, en vedette dans The Men Who Stare at Goats de Grant Heslov, son pote Matt Damon qui, paraît-il, brille dans The Informant! de Steven Soderbergh (voir critique de Philippe Couture dans nos pages), Michael Moore et son Capitalism: A Love Story, Collin Farrell, très solide en photographe de guerre dans le bouleversant Triage de Danis Tanovic, et Penélope Cruz, magnifique dans Étreintes brisées de Pedro Almodovar, qui a alimenté la machine à rumeurs avec sa prétendue grossesse – elle avait pourtant le ventre bien plat lorsque je l’ai rencontrée.

En fait, c’est plutôt du côté des partys que l’on festoie moins, ce qui n’empêche pas de faire son travail de journaliste, bien au contraire… Là où cela devient plus difficile, c’est lorsqu’on constate que le nombre de projections a diminué par rapport à l’an dernier.

Ainsi, quand on ne peut assister à une projection parce qu’on doit faire des entrevues – ou qu’on en manque une parce qu’un artiste a pris la poudre d’escampette sans avertir, comme ce fut le cas avec Jacques Audiard qui nous a fait manquer le dernier brûlot de Moore -, rare peut-on la rattraper, car la majeure partie des films ne sont projetés qu’une fois.

OÙ EST PASSÉ TOUT CE MONDE?

En comparant avec les années passées, force est de constater que les halls d’entrée des grands hôtels sont moins achalandés de journalistes et d’attachés de presse que d’habitude et que moins de badauds se pressent aux portes afin d’apercevoir des "beautiful people".

Même le vent de controverse à propos de l’hommage à Tel-Aviv dont tout le monde a parlé ne s’est révélé qu’une brise. De fait, en fin de matinée, au coin de Bloor et Bay, soit devant le Manulife Center où sont projetés plusieurs films du Festival, il n’y avait que trois personnes portant sagement le drapeau israélien.

Heureusement, les Torontois ne manquent certes pas à l’appel, tel que le prouve cette salle comble au Ryerson où les festivaliers ont accueilli chaleureusement An Education de Lone Scherfig, charmante comédie dramatique campée dans le Londres du début des années 60 révélant la fraîche et élégante Carey Mulligan. La file était si longue qu’on aurait dit qu’il y avait eu plus de billets vendus que de places disponibles.

Entre nous, ce film de la réalisatrice d’Italien pour débutants a fait meilleure figure que le film d’ouverture du festival, Creation de Jon Amiel, ennuyeux et pompeux biopic sur Charles Darwin (Paul Bettany, plus maniéré qu’habité) au moment où il écrivait L’Origine des espèces. Pas de quoi fouetter l’atmosphère tristounette qui règne au TIFF cette année.

QUOI DE NEUF?

Ce qui surprend beaucoup de cette 34e édition, ce sont les projections de presse où l’affluence se fait moins grande que d’habitude. Nous étions peu nombreux à Carmel, sans doute le film le plus personnel d’Amos Gitaï, qui rend ici un hommage senti mais peu contagieux à sa famille, de même qu’aux tribulations d’une drôlerie irrésistible d’un réalisateur dans Like You Know It All de Hong Sang-soo, ainsi que pour l’ambitieux péplum d’Alejandro Amenabar, Agora, qui s’intéresse au destin de la scientifique Hypathie d’Alexandrie (Rachel Weisz, convaincante). En revanche, c’était salle comble pour White Material de Claire Denis, drame troublant où Isabelle Huppert rend parfaitement la détresse et le fol entêtement d’une planteuse de café en plein coeur d’une rébellion en Afrique.

Parmi les films projetés avant le départ pour Toronto, passons rapidement sur The Boys Are Back de Scott Hicks, mélo archi-prévisible et larmoyant où Clive Owen joue, avec dignité, les pères de famille monoparentale, et Daybreakers de Michael Spierig, pathétique film de vampires où Ethan Hawke et Willem Dafoe gaspillent leur talent.

Du côté d’autres primeurs dignes d’intérêt, mentionnons The Road de John Hillcoat, adaptation du roman de Cormac McCarthy avec l’intense Viggo Mortensen, qui fait monter en nous un sentiment de désespoir qui ne nous abandonnera que plus tard après la projection. Il ne faudrait pas passer sous silence la performance étonnante d’Emir Kusturica dans L’Affaire Farewell, le drame d’espionnage aux allures vieillottes de Christian Carion.

Si la palme du meilleur film revient selon nous à Un prophète de Jacques Audiard, film carcéral d’une rare puissance que nous avions manqué à Cannes, force est d’admettre que le coup de foudre a été instantané pour A Serious Man d’Ethan et Joel Coen, où l’exceptionnel Michael Stuhlbarg incarne un pauvre homme sur qui tous les malheurs s’abattent. Rarement les frangins Coen, qui ont puisé dans leurs souvenirs d’enfance, auront aussi brillamment jonglé avec la tragédie, le cynisme et l’humour féroce. Un must!

MONTREAL SUPERSTAR

Au moment d’écrire ces lignes, nous sommes à quelques heures de la première projection de J’ai tué ma mère de Xavier Dolan. Surnommé par le Globe and Mail "Montreal Superstar", le jeune prodige à la houppe profitera de son séjour à Toronto pour rencontrer la presse canadienne et américaine. Alors qu’il reprendra l’affiche bientôt à Montréal, J’ai tué ma mère, qui s’approche graduellement du million, partira à la conquête des marchés américains et canadiens dès janvier 2010.

S’il faut en croire le confrère Danny Lennon (voir son blogue Haut les courts!), nos court-métragistes font belle figure à Toronto. Léger Problème d’Hèlène Florent aurait été favorablement accueilli, alors que d’excellentes rumeurs précèdent Danse macabre de Pedro Pires et La vie commence d’Émile Proulx-Cloutier. Peut-on rêver d’un ouragan comparable à celui provoqué par Next Floor de Denis Villeneuve en 2008?

Les prochains jours nous diront quel impact auront créé Carcasses de Denis Côté et La Donation de Bernard Émond, dont ce dernier chapitre de la trilogie sur les vertus théologales se rapproche davantage de La Neuvaine que de Contre toute espérance. Devant les membres de la presse qui disparaissent de jour en jour, on se demande s’il restera quelqu’un pour voir le film de clôture, l’élégant biopic The Young Victoria de Jean-Marc Vallée.

AVANT DE PARTIR

Enfin, nous aurions bien aimé attraper la reprise de Lebanon de Samuel Maoz, Lion d’or à la Mostra, mais nous aurons rendez-vous au même moment avec Jean-Pierre Jeunet et Dany Boon pour Micmacs à tire-larigot (pas encore vu au moment d’écrire ces lignes)… Pourvu qu’ils ne nous posent pas un lapin comme François Ozon, qui a décidé de ne pas venir promouvoir son très beau et sensible mélo Le Refuge, lequel s’inscrit dans la veine des très prenants 5X2 et Le Temps qui reste, où la lumineuse Isabelle Carré se réinvente dans la peau d’une toxicomane enceinte. Et si on se donnait rendez-vous à Paris?

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