Marie-Josée Croze / Je l'aimais : La femme défendue
Cinéma

Marie-Josée Croze / Je l’aimais : La femme défendue

Dans Je l’aimais de Zabou Breitman, d’après le roman d’Anna Gavalda, Marie-Josée Croze incarne le grand amour de Daniel Auteuil. "Un rôle payant", au dire de l’actrice qui peut s’enorgueillir d’une filmographie entretenue avec flair et minutie.

Lors de la sortie de Je l’aimais en mai dernier, la critique européenne ne tarissait pas d’éloges envers Marie-Josée Croze: "elle n’est pas belle, elle est mieux que ça" (Libération); "elle est magnifique dans la peau de l’amante" (L’Express); "un rôle qui la magnifie" (Le Temps); "elle prend merveilleusement bien la lumière" (Le Soir).

De tels éloges, bien qu’ils semblaient parler davantage de sa plastique que de son talent, nous portaient à croire que l’actrice avait enfin décroché le rôle de sa carrière. Jointe au téléphone à Paris, au milieu d’une tournée de promotion, Marie-Josée Croze ne voit pas les choses exactement de cette façon.

"En France, personne n’a dit que c’était le rôle de ma vie. C’est un très, très beau rôle et à partir du moment où le personnage qu’on joue est une femme qui doit inspirer le désir et la passion, il faut arriver à être beau. Les gens croient qu’être beau, c’est facile, et ça, ça m’a toujours fait rigoler. Être beau à l’image, c’est un travail comme celui d’être intense. On joue un rôle, et dans ce cas-ci, une femme amoureuse qui transporte l’amour, qui inspire l’amour dans l’oeil de son partenaire. Les critiques ont été très élogieuses sur mon jeu, autant que sur ma plasticité."

Selon l’actrice, les médias québécois se seraient peut-être emballés du fait qu’elle donne dans Je l’aimais la réplique à Daniel Auteuil. "Ç’a été un grand choc parce que c’est un grand acteur, et d’avoir l’occasion de se retrouver face à face avec lui pendant plusieurs scènes, ce n’est pas rien. Je crois que c’est cela qui a impressionné les gens au Québec. Et ça, je le comprends parce que moi-même, j’ai été impressionnée. Daniel Auteuil, c’est une institution comme Deneuve et Depardieu, qui font partie des monstres sacrés. Je l’aimais est aussi un beau projet qui réunit Anna Gavalda, dont les bouquins sont vendus à je ne sais combien d’exemplaires, et Zabou Breitman, qui est réputée pour son talent."

En entrevue avec Sébastien Diaz pour l’émission Voir, Marie-Josée Croze a raconté que Daniel Auteuil lui aurait dit entre deux prises: "Occupe-toi de tes fesses!" La rencontre aurait-elle été difficile?

En riant, elle se souvient: "J’ai même intégré cette expression dans mon vocabulaire! Daniel est très, très drôle et aussi très pince-sans-rire. Une fois, Zabou est venue nous dire un truc pour une scène et du coup, j’ai suggéré quelque chose à Daniel. À la blague, il m’a lancé cette phrase. Avec certains acteurs, on peut planifier des trucs de mise en scène, mais Daniel, c’est quelqu’un qui est dans l’instant présent, alors il n’est aucunement question de planifier quoi que ce soit. Il veut être surpris et pouvoir surprendre."

DU PAPIER À LA PELLICULE

Adaptation du roman d’Anna Gavalda, cette troisième réalisation de Zabou Breitman (Se souvenir des belles choses, L’Homme de sa vie) met en scène un sexagénaire, Pierre (Auteuil), qui raconte à sa belle-fille Chloé (Florence Loiret-Caille), tout juste larguée par le fils de Pierre, comment il rencontra celle qui devint l’amour de sa vie, Mathilde (Croze), 20 ans plus tôt.

Si Zabou Breitman a quelque peu hésité à se lancer dans l’adaptation du best-seller d’Anna Gavalda, ce ne fut pas le cas pour Marie-Josée Croze. Toutefois, celle qui a refusé trois projets avec Vincent Lindon et un autre avec Benoît Poelvoorde sous prétexte que le scénario ne lui plaisait pas n’y aurait pas joué à tout prix.

"J’avais envie de tourner cette histoire-là au moment où on me l’a envoyée, explique-t-elle, car elle faisait écho en moi. Au départ, je ne savais pas quel rôle féminin allait m’être attribué, mais j’espérais qu’on m’imagine plus en Mathilde qu’en Chloé parce que j’avais l’impression d’avoir déjà joué cette dernière. J’étais inquiète parce que souvent, lorsque les gens te voient jouer quelque chose, ils ont envie de te "typecaster"."

L’actrice confie: "Si on m’avait demandé de faire Chloé, je ne l’aurais pas fait. J’avais envie d’explorer Mathilde; c’était un personnage qui me séduisait parce que je ne l’avais jamais fait. C’est un rôle qui est gratifiant parce qu’il est très solaire; Mathilde est une femme amoureuse, c’est donc un personnage dans la générosité, dans l’ouverture. Dans ce sens-là, c’est un rôle payant."

Vendu à 1,2 million d’exemplaires – qui sait si ce chiffre n’est pas déjà erroné au moment d’écrire ces lignes -, Je l’aimais a séduit bien des lecteurs (lectrices?). Cependant, Croze, trop occupée à lire des chefs-d’oeuvre du siècle passé, ne fait pas partie du nombre. Sans doute que la pression d’incarner un personnage imaginé des millions de fois par d’autres ne se fait pas sentir chez elle…

"Ce n’était pas ma première adaptation littéraire puisque j’ai tourné La Petite Chartreuse (Pierre Péju), Ne le dis à personne (Harlan Coben), Le Scaphandre et le Papillon (Jean-Dominique Bauby), etc. Honnêtement, je me fous un peu de cela. C’est plus un enrichissement qu’une perte car le livre m’apporte des clés, des outils que normalement on n’a pas lorsqu’on n’a qu’un scénario. Cela dit, le livre n’est pas le scénario, et le scénario n’est pas le film. Chaque étape est différente et ce qui compte, c’est le résultat final."

Elle ajoute: "La pression, j’en ai toujours, quoi que je fasse. Ma pression, qui n’est pas une souffrance, c’est de rendre heureuse la personne qui me filme, qui m’a confié le rôle. Ensuite, que les gens disent qu’ils ont préféré le bouquin, j’en ai rien à branler, c’est le cadet de mes soucis! Par ailleurs, j’ignore ce que pense Anna Gavalda du film, mais pour ma part, j’en étais très, très heureuse."

SALOPE OU ROMANTIQUE?

Selon la place que l’on tient dans un triangle amoureux ou le regard qu’on lui jette, la maîtresse peut être perçue tour à tour comme l’amoureuse idéale ou la briseuse de ménage. Qu’en pense la principale intéressée?

"Je pense que c’est un film qui parle à beaucoup de gens parce qu’on est l’un ou l’autre de ces trois personnages-là, avance-t-elle. Je savais qu’il y avait ce piège, cet écueil de tomber dans ce personnage maudit. Mathilde, c’est quand même quelqu’un qui va foutre la merde dans la vie rangée de Pierre. Avant sa rencontre avec Mathilde, il était marié, heureux. Mathilde est comme un tsunami dans sa vie. Je l’ai abordée en sachant ce danger qu’elle ne soit pas aimée. C’est pour cela que j’étais contente que ce soit réalisé par une femme."

Croze poursuit sa réflexion: "J’étais à peu près sûre que si Zabou voulait s’attaquer à ce sujet-là, c’est que Mathilde était loin d’être quelqu’un qu’elle n’aimait pas. Au contraire, c’était une femme qu’elle comprenait et qu’elle avait envie de défendre avec moi. Un homme serait peut-être tombé dans des pièges de clichés érotiques au niveau de l’habillement. Avec Zabou, on a voulu qu’elle ait les cheveux en bataille, comme un petit animal. Ça nous amusait qu’elle soit comme une petite fille qui a plein de facettes différentes, mais qui n’est surtout pas dans la manipulation, dans le côté de la séduction, de la mante religieuse."

LES HOMMES PRÉFÈRENT LES BLONDES

Dès qu’elle apparaît à l’écran, on ne peut faire autrement que de remarquer que Marie-Josée Croze a changé de look et que sa garde-robe passe du gris terne au rouge flamboyant.

"C’est vraiment un travail à trois. Avec la costumière Marie-Laure Lasson, on a fait des heures et des heures d’essayage de costumes. La robe rouge que je porte vers la fin, Zabou en avait rêvé. Cette robe, je ne la trouvais pas belle; mais Zabou a insisté. On l’a retravaillée jusqu’à ce qu’elle tombe bien. On a fait de même pour tous les costumes. Zabou ne laisse rien au hasard. Elle a un côté maniaque sur la préparation, les cheveux. Au final, tout semble naturel, spontané, mais tout est vraiment travaillé. Je connais peu de gens qui travaillent autant que Zabou, qui est aussi une surdouée du jeu."

Quant à la blondeur, n’y voyez surtout pas là-dedans des caprices féminins: "Zabou voulait que je sois blonde, elle m’a amenée chez son coiffeur. Ce n’était pas un caprice, ni d’elle ni de moi. C’est un métier: on est payé très cher pour le faire et plein de gens attendent de nous que nous livrions la marchandise. Alors nous ne faisons pas beaucoup de caprices. C’est une vraie connerie quand les gens pensent que les acteurs sont des capricieux!"

Marie-Josée Croze conclut: "Est-ce que j’aurais été plus belle en brune ou en rousse? Je ne sais pas, mais Zabou avait en tête de longs cheveux blonds en bataille. Tout cela donne à Mathilde l’image d’une fille spontanée, libre, moderne. Ce n’est pas une fille qui veut en mettre plein la vue. Pierre dira que grâce à Mathilde, il se sent maintenant doué pour le bonheur et la vie. C’est pour ça que leur histoire est belle, qu’on peut y croire. Ce n’est pas une banale histoire de cul."

En salle le 9 octobre

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CROZE, MÈRE DE DENEUVE

Outre Liberté de Tony Gatlif, un autre film présenté au dernier Festival des Films du Monde de Montréal mettait en vedette Marie-Josée Croze: Mères et Filles de Julie Lopes-Curval. L’actrice québécoise y incarne la mère d’une icône du cinéma français: Catherine Deneuve. De quoi se pincer, non?

"Je dois avouer que lorsque j’ai reçu le scénario avec la lettre de Julie m’offrant le rôle de la mère de Catherine Deneuve et la grand-mère de Marina Hands, je me suis dit: "Euh… c’est quoi cette histoire?" J’ai lu le scénario avec appréhension en me disant que c’était une erreur, me demandant c’était quoi leur problème de me confier un rôle qui n’est pas de mon âge. Puis, j’ai compris que c’était dans les flash-back. J’étais folle comme un balai! J’ai couru dire ça à ma mère!"

L’actrice poursuit: "Même dans mes moments les plus fous, je ne me serais jamais imaginée jouer la mère de Catherine Deneuve. Six mois plus tard, j’ai aussi eu aux États-Unis un projet, qui ne s’est pas fait, où je devais incarner la mère de Jeanne Moreau. J’aurais réussi ma vie si j’avais pu jouer la mère des deux plus grandes actrices du monde, ç’aurait été génial!"