Denis Villeneuve : De Trois-Rivières à Cannes
Dans le cadre de la série Hommage aux artisans trifluviens du cinéma, Ciné-Campus consacre une soirée au cinéaste Denis Villeneuve. Entretien avec le réalisateur d’Un 32 août sur terre, Maelström et Polytechnique.
Voir: Est-ce étonnant de faire l’objet d’une soirée hommage à un si jeune âge?
Denis Villeneuve: J’ai déjà refusé deux ou trois demandes de rétrospectives dans des festivals étrangers parce que je considère effectivement que ça n’a pas de sens lorsqu’on n’a fait que trois ou quatre films. Il ne s’agit pas vraiment d’un hommage, mais plus d’une série de moments consacrés à différentes personnes oeuvrant dans le cinéma. C’est sans prétention aucune.
Votre passion pour le cinéma remonte-t-elle à votre enfance passée à Trois-Rivières?
Au Séminaire Saint-Joseph, mon professeur de mathématiques en secondaire un, Denis Fleurent, m’a raconté plan par plan l’attaque des hélicoptères à l’aube dans Apocalypse Now, en me disant que je ne pouvais pas comprendre, à cet âge, la portée significative de la musique de Wagner dans cette séquence. Ça m’a profondément marqué. Je me souviens aussi, à la même époque, de mes parents traumatisés revenant de voir The Deer Hunter au Ciné-Campus. Un film raconté par quelqu’un d’autre marque l’esprit. Je souligne aussi l’apport d’un club de cinéma nommé Film Midi et dirigé par Roger Young, où j’ai découvert McLaren, Co Hoedeman et l’ONF.
Treize ans après Cosmos (1996), quelle place considérez-vous que ce film collectif occupe dans votre parcours et dans la petite histoire du cinéma québécois?
Personnellement, c’est ma rencontre avec [le producteur] Roger Frappier, un grand passionné de cinéma comme on en rencontre peu dans sa vie. Pour ceux qui l’ont fait, ce film demeure un objet intéressant par son processus de création. Mais je ne pense pas que le résultat ait apporté quelque chose de durable aux autres…
Vos deux premiers longs métrages, Un 32 août sur terre (1998) et Maelström (2000), ont beaucoup rayonné ici et ailleurs. Mais avec le recul, on sent que vous avez voulu vous distancer de ces films. Est-ce ce qui explique votre longue absence du grand écran par la suite?
J’ai réalisé après Maelström que je ne serais plus capable de faire des films seulement pour faire des films. Le cinéma ne pouvait plus être une fin en soi. J’avais besoin d’arrêter jusqu’à temps que je réussisse à apprendre ce que j’avais à apprendre pour pouvoir continuer à faire du cinéma. C’est un cadeau immense que je me suis fait à moi-même d’arrêter complètement. Sinon, je serais décédé créativement au bout d’un dernier film. Aussi, j’étais insatisfait de mes capacités de scénariste et de metteur en scène, je suis retourné à l’école si on peut dire.
Vous êtes revenu en force avec le court métrage Next Floor (2008), qui fait le tour des festivals de cinéma et a remporté d’innombrables prix à travers le monde, notamment à Cannes. Que pouvez-vous nous dire sur ce film, qui sera projeté durant la soirée hommage?
C’est un film tourné avec une liberté rare; j’étais persuadé que je le faisais pour une seule et unique spectatrice, Phoebe Greenberg. Je pensais sincèrement que le film serait un objet déposé dans sa bibliothèque et que personne ne le verrait. J’ai adoré retrouver cette manière de créer, cette liberté ludique dégagée du joug du succès.
Avec Polytechnique (2009), vous avez marqué un grand coup, signant un film à la fois extraordinairement maîtrisé sur le plan de la forme, mais aussi profondément émouvant. Va-t-il y avoir, comme on le soupçonne, l’avant et l’après-Polytechnique dans votre filmographie?
Polytechnique a été très pénible à faire, du début à la fin. C’est un film collectif pour moi: nous avons été plusieurs à le penser. J’en avais décidé ainsi et en ai accepté les conséquences. J’ai beaucoup écouté les autres parce que j’étais persuadé qu’il fallait être plusieurs pour réfléchir à un tel sujet. Le film a bénéficié de cette attitude, mais c’est assurément beaucoup plus facile d’être dictateur au cinéma. Il y a des moments du film dont je suis fier, d’autres non.
Le 29 octobre à 19h30
À la salle Léo-Cloutier du Séminaire Saint-Joseph
Entrée libre