Nuages sur la ville : Le blues de la métropole
Cinéma

Nuages sur la ville : Le blues de la métropole

Dans Nuages sur la ville, son premier long métrage, Simon Galiero s’intéresse au désarroi d’un écrivain en panne d’inspiration qu’incarne le cinéaste Jean-Pierre Lefebvre.

Ayant quitté ses études collégiales en cinéma avant la fin de la première session, Simon Galiero a fait ses classes en s’entretenant avec la crème des réalisateurs d’ici pour le compte de la revue électronique Hors Champ, dont il est coéditeur, et 24 Images, tout en se gavant de grands films du monde entier. Ces leçons ont porté leurs fruits puisqu’il remportait en 2008 le Jutra du meilleur court métrage pour Notre prison est un royaume, ainsi que le prix du meilleur long métrage canadien à la 38e édition du FNC pour Nuages sur la ville. Qui plus est, celui qui vient de publier La Perte et le Lien, où il s’entretient avec Bernard Émond, a pu bénéficier de la collaboration de deux cinéastes marquants d’ici, Jean-Pierre Lefebvre et Robert Morin, auxquels se sont joints le directeur du Prospero, Teo Spychalski, et l’acteur fétiche de Lefebvre, Marcel Sabourin (Les Maudits Sauvages, Les Dernières Fiançailles, Le vieux pays où Rimbaud est mort, etc.).

Toutefois, une belle feuille de route n’apporte pas nécessairement des millions. Ainsi, Simon Galiero n’a disposé que de 30 000 $ pour le tournage: "C’est comme ça que plusieurs films québécois ont été tournés dans les années 60. Je l’ai tourné en couleurs, mais je me suis rendu compte au montage que le noir et blanc correspondait au sujet de mon film et que certains décors naturels auraient paru trop trash en couleurs."

Hommage senti au cinéma québécois des années 60, Nuages sur la ville traduit la déception de Simon Galiero face à l’indifférence contre laquelle bute notre culture sur notre propre territoire: "Que la culture que l’on défend ne soit pas un fait de majorité, c’est normal, mais ce qui est frustrant, c’est la démission des élites qui ne la défendent plus autant. Il faudrait que les programmateurs de télé se tournent vers ces films, comme à TFO, par exemple, où il y a une programmation cinéma incroyable et où l’on replace chaque film dans son contexte. Cela s’est déjà fait ici et il aurait fallu que ça demeure une tradition immuable."

Parmi ces films négligés se trouvent ceux de Jean-Pierre Lefebvre à qui Galiero rend hommage d’une façon originale: "Un peu comme dans mon précédent court métrage (ndlr: qui mettait en vedette Marcel Couture, que l’on retrouve ici en frangin de Morin), je vais chercher des gens qui m’inspirent et semblent capables de s’assumer. Pour Jean-Pierre, j’ai essayé de faire une version cauchemardesque de lui; il me semblait que c’était la meilleure façon de lui rendre hommage."

Le réalisateur conclut: "C’est un peu pervers, mais je ne voulais pas faire une biographie élogieuse. En fait, je me demandais quel était le sens d’une vie après que tu aies tourné 35 films et que 9 personnes sur 10 ignorent qui tu es. Les meilleurs films que je connais de Jean-Pierre ne sont même pas disponibles, pas même sur VHS! Il y a des perles dans sa filmographie, certains ont même été primés à Cannes; pour moi, il est le metteur en scène de fiction au Québec."

À voir si vous aimez /
Le Jour S de Jean-Pierre Lefebvre, Où êtes-vous donc? de Gilles Groulx, Trois Pommes à côté du sommeil de Jacques Leduc

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NUAGES SUR LA VILLE

Passé le déroutant prologue en polonais où un homme (Teo Spychalski) discute du contenu d’un rêve avec son neveu (Alex Bisping), le charme de Nuages sur la ville opère graduellement alors que Simon Galiero teinte d’éléments insolites – tout ce carnaval des animaux jetant d’inquisiteurs regards aux personnages – une facture résolument réaliste, laquelle évoque avec bonheur le cinéma direct des années 60. Cependant, l’époque dépeinte est bien la nôtre puisqu’on retrouve portables, GPS, console Wii et maisons modernes identiques. Les considérations sur la culture, voire l’inculture, sont tout aussi actuelles.

S’attachant à trois destins qui se croisent brièvement, et un peu laborieusement, celui d’un auteur en panne d’inspiration (Jean-Pierre Lefebvre, meilleur derrière que devant la caméra), d’un intellectuel polonais (Spychalski, truculent) et d’un chômeur (Robert Morin, naturel), le jeune réalisateur se livre à une réflexion qui fouette et décourage à la fois sur la transmission de notre culture et de nos valeurs.

De fait, si l’on se fie à l’attitude de la fille de l’écrivain (Julie Ménard) ou encore du neveu de l’intello, qui préférerait sans doute aux sept tomes d’À la recherche du temps perdu ceux de la saga Harry Potter, la culture avec un grand C ne mène qu’à pas grand-chose…

Heureusement, derrière le pessimisme de Galiero pointent une certaine foi en l’avenir et en la survie de notre patrimoine, et surtout, un humour doux-amer plus que bienvenu dans cet univers morose.

Enfin, sous ces nuages gris se cache aussi une leçon de cinéma pour cinéphiles avertis qui donne envie de redécouvrir les pionniers et figures marquantes de notre cinéma. Et ça, c’est beaucoup.