Étreintes brisées : Éloge de la chère disparue
Cinéma

Étreintes brisées : Éloge de la chère disparue

Étreintes brisées/Broken Embraces (Los Abrazos rotos), de Pedro Almodovar, est une magnifique lettre d’amour au septième art.

Dans Los Abrazos rotos, Penélope Cruz incarne une aspirante actrice qui joue dans un film produit par son amant (Jose Luis Gomez), riche homme d’affaires qui pourrait être son père. Entre elle et le réalisateur, Matteo (Lluís Homar), c’est le coup de foudre. Voulant garder un oeil sur sa maîtresse, le producteur demande alors à son fils (Rubén Ochandiano) de tourner le making of. Quatorze ans plus tard, Matteo, qui signe des scénarios sous le pseudonyme Harry Caine, est forcé de se remémorer ce tournage à la suite duquel il a perdu la vue et l’amour de sa vie.

"Cette fois-ci, il y a plus de parité que dans mes précédents films", a affirmé le flamboyant cinéaste lors de la conférence de presse cannoise. "C’est vrai que dans ma filmographie, on trouve plus d’éléments féminins que masculins. Les femmes sont des battantes, alors que les hommes paraissent plus faibles. Y a-t-il un psychanalyste dans la salle? Moi, je ne me pose pas de questions. Cela dit, il est vrai que j’ai été élevé par des femmes fortes dans l’après-guerre."

"Tout m’a surpris dans le film, de la première à la dernière réplique! s’est exclamée la ténébreuse actrice. C’est son meilleur scénario, le plus complexe et le plus fort. Mon personnage est merveilleux et différent de ce que j’ai fait. Je suis heureuse que Pedro ait pensé à moi pour jouer Lena. Au début du tournage, Pedro m’a dit d’oublier tout ce qu’on avait travaillé, c’était comme des montagnes russes."

"Il y a un accord tacite avec tous mes acteurs; je peux les toucher au plus profond d’eux-mêmes, même là où c’est douloureux. Je me considère chanceux de pouvoir le faire. Pour certains acteurs, je donne toute l’info; pour d’autres, je ne donne rien afin de leur permettre de jouer avec leurs instincts. Si nécessaire, je joue tous les rôles. Je suis même déjà arrivé à faire un cunnilingus à une actrice pour montrer comment faire à un acteur", a avoué le réalisateur, sous le regard étonné de Cruz.

"Le personnage a son identité propre, il est une création unique, a expliqué Lluis Homar. Pour Matteo, je me suis inspiré du mystère qui entoure Pedro, qui m’a beaucoup parlé de son parcours, m’a donné des sources d’inspiration, des références. Plus le tournage avançait, plus je me sentais proche de lui."

Signant un solide scénario où il passe avec aisance du présent au passé, Almodovar profite de ce mélodrame touchant pour faire de beaux clins d’oeil au cinéma, allant même jusqu’à refaire des scènes de Femmes au bord de la crise de nerfs pour les besoins du film dans le film, Filles et valises, dont on pourra voir des scènes retirées au montage sur le DVD: "Ce n’était pas pour me rendre hommage, a révélé le volubile Madrilène. Je trouvais que cette comédie offrait un plus grand contraste avec la vie de ces gens de cinéma… En plus, je n’avais pas besoin de payer de droits d’auteur!"

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Ayant perdu la vue 14 ans auparavant, le réalisateur Matteo Blanco est devenu le scénariste Harry Caine (Lluís Homar, solide). La venue d’un jeune documentariste (Rubén Ochandiano, efficace) le poussera à se remémorer ce triste événement où il a aussi perdu l’amour de sa vie, l’aspirante actrice Lena (Penélope Cruz, émouvante). Revisitant librement son film culte Femmes au bord de la crise de nerfs, Pedro Almodóvar, qui fait aussi de nombreux clins d’oeil à Rossellini, à Buñuel et à Wilder, tient le spectateur en haleine grâce à une prenante histoire d’amour et de trahison qu’il développe habilement sur deux époques. Si Los Abrazos rotos n’est pas le meilleur film d’Almodóvar, l’on y sent cependant le grand amour que voue le flamboyant Madrilène au septième art. (M. Dumais)