Revue 2009 / Cinéma québécois : L'homme de 10,5 M$
Cinéma

Revue 2009 / Cinéma québécois : L’homme de 10,5 M$

Alors que l’ouragan Xavier Dolan frappait de plein fouet la planète cinéma, le quatrième long métrage d’Émile Gaudreault récoltait des millions à la pelle au Québec. Retour sur une année fructueuse malgré la crise.

"Le succès de Bon Cop, Bad Cop ne m’inquiète pas. J’ai 45 ans, je suis plus relaxe, je suis dans la création au quotidien. Je n’ai pas de contrôle là-dessus", confiait Émile Gaudreault en juillet dernier alors qu’on lui demandait s’il craignait que De père en flic, comédie policière mettant en vedette un irrésistible tandem dépareillé (Michel Côté et Louis-José Houde), ne souffre de la comparaison avec celle d’Érik Canuel, laquelle était devenue le film le plus rentable au Canada en 2006 avec des recettes de plus de 12 M$.

Ayant amassé 10,5 M$, le quatrième film de Gaudreault a élevé le box-office de 15 % de plus qu’en 2008 et généré plus de 50 % des recettes. S’il est déjà assuré qu’Émile Gaudreault remporte la Bobine d’or aux Génie et le Billet d’or aux Jutra, il est à souhaiter que celui-ci ne voie pas tous les autres prix lui passer sous le nez comme ce fut le cas aux Jutra pour Canuel – qui a toutefois remporté le prix du Meilleur film aux Génie.

Alors que 2008 voyait cinq longs métrages franchir la barre des millions, ils étaient sept, outre De père en flic, à devenir millionnaires en 2009: Les Doigts croches, de Ken Scott; Dédé à travers les brumes, de Jean-Philippe Duval; Polytechnique de Denis Villeneuve; en dépit des critiques négatives, À vos marques, party!, de Frédérik D’Amours; Les Pieds dans le vide, de Mariloup Wolfe; et 5150, rue des Ormes, d’Éric Tessier, l’un des rares à s’aventurer dans le film de genre – avec Érik Canuel (Cadavres) et Patrice Sauvé (Grande Ourse), qui n’ont pas connu le succès escompté. Il est surprenant de ne pas y trouver la charmante chronique nostalgique de Ricardo Trogi, 1981, dans cette liste.

Malgré leurs qualités indéniables, La Donation de Bernard Émond, Je me souviens d’André Forcier, Hommes à louer de Rodrigue Jean, trois cinéastes accomplis, Demain de Maxime Giroux et Nuages sur la ville de Simon Galiero, qui signaient leur premier long métrage, n’ont pas rencontré leur public. Ni Les Dames en bleu de Claude Demers, mettant en vedette le suave Michel Louvain, n’a pas fait de fracas. Si Lyne Charlebois avait défoncé le plafond de verre en remportant le prix de la meilleure réalisation pour Borderline l’an passé, les efforts de nos réalisatrices Guylaine Dionne (Serveuses demandées), Micheline Lanctôt (Suzie) et Sophie Lorain (Les Grandes Chaleurs) ont laissé le public indifférent.

L’AN DOLAN

Au cours de cette année faste, qui a tout de même connu quelques cauchemars (Le Bonheur de Pierre de Robert Favreau et Pour toujours… les Canadiens de Sylvain Archambault), c’est une histoire de persévérance et de détermination qui a attiré le plus d’attention. À quelques mois d’être propulsé sur la scène internationale, Xavier Dolan reprenait le tournage interrompu pour des raisons budgétaires de J’ai tué ma mère. Dans ses rêves les plus fous, le jeune prodige d’à peine 20 ans, qui s’est entêté à signer, malgré le refus des institutions, ce récit d’amour entre une mère et son fils, interprétés avec fougue par Anne Dorval et Dolan lui-même, se voyait gravir les marches cannoises. The rest is history, comme disent les Chinois.

Ainsi, après avoir récolté trois prix à la Quinzaine, éclipsant presque le passage de Denis Côté (Carcasses) et Denis Villeneuve (Polytechnique), J’ai tué ma mère a récolté une douzaine d’autres prix à travers le monde. Retenu pour représenter le Canada aux Oscars, J’ai tué ma mère n’a pas été sélectionné par les Golden Globes, mais cela n’a toutefois pas empêché cette première oeuvre qui a suscité autant l’admiration que l’agacement – rarement l’indifférence – de se rapprocher graduellement du million… si ce n’est déjà fait au moment d’écrire ces lignes.

À l’international, Pedro Pires a fait plus que bonne figure avec le court métrage Danse macabre, dont la liste de prix ne cesse de s’allonger.

L’année 2009 fut aussi celle des adieux à Pierre Falardeau et à Gilles Carle. On se souviendra du premier pour ses coups de gueule et pour avoir mis au monde Elvis Gratton, caricature grossière et attachante de nos pires défauts, mais surtout pour avoir porté à l’écran avec brio des moments-clés de notre jeune histoire, Octobre et 15 février 1839. On se rappellera le second pour être allé fouetter la Croisette avec des films pittoresques tels La Vraie Nature de Bernadette et Les Plouffe, en plus d’y récolter la Palme d’or pour le court métrage ONF 50 ans.

Enfin, les cinéphiles montréalais ont regretté que Daniel Langlois change la vocation d’Ex-Centris, permettant toutefois au Cinéma Parallèle de poursuivre ses activités. Heureusement, selon le Regroupement des distributeurs indépendants du Québec, qui ont maintenant droit de vote aux Jutra, la réouverture des salles Cassavetes et Fellini ne serait pas impossible.

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Top 5 Québec /

1. La Donation, de Bernard Émond

Une fine et sensible réflexion sur la transmission des valeurs qui clôt magnifiquement la trilogie des vertus théologales. (M.D.)

2. Polytechnique, de Denis Villeneuve

Un mémorial lyrique, sobre et solennel dédié aux victimes de la tragédie du 6 décembre 1989. (M.D.)

3. Grande Ourse – La Clé des possibles, de Patrice Sauvé

Un film fantastique où suspense, humour, mythologie, philosophie et émotion se côtoient de façon étonnamment heureuse. (K.L.)

4. Carcasses, de Denis Côté

Une oeuvre hybride extrêmement stimulante et maîtrisée, qui prouve bien le lien de filiation existant entre le travail de Côté et celui de Pierre Perrault. (G.F.)

5. Je me souviens, d’André Forcier

Avec son sens aigu de l’insolite et du pittoresque, Forcier prouve parfaitement que la comédie peut à la fois divertir et faire réfléchir. (M.D.)