L’Affaire Coca-Cola : Coke avale de travers
En soulevant la responsabilité de Coca-Cola dans l’assassinat de huit syndicalistes colombiens, le très sérieux documentaire québécois L’Affaire Coca-Cola s’attire les foudres de la multinationale. Explosif.
L’Affaire Coca-Cola est dans la ligne de mire de la société Coca-Cola, qui a envoyé à la mi-janvier une mise en demeure aux diffuseurs du film, la multinationale arguant de diffamation et de bris de confidentialité. Une campagne "de discrédit", ni plus ni moins, selon Germán Gutiérrez, coréalisateur, qui jusqu’ici n’a pas fonctionné: le film a notamment été projeté par les étudiants de l’Université Concordia en janvier. "Ils ont commis une grosse erreur, jubile Germán: aussitôt reçue, la lettre était diffusée sur le Net."
Campagne d’intimidation? Depuis sa sortie en 2009, ce film, fruit de plus de trois années de travail et de deux ans de tournage, fait l’effet d’un raz de marée: groupe de soutien sur Facebook, diffusion dans le monde entier et, en Amérique latine, les DVD pirates qui s’arrachent. "C’est comme ça que Coca-Cola a pu voir le film: ils se sont procuré une copie illégalement", raille Germán.
470 personnes tuées depuis 2002
La réaction de l’entreprise ne s’est pas fait attendre: "Ils ont d’abord tenté de nous faire couper deux scènes révélant le fait que Coke a proposé une grosse somme d’argent dans le cadre de négociations hors cour, à condition que les activités syndicales et la campagne Stop Killer Coke prennent fin. Évidemment, il n’en était pas question, donc ils tentent maintenant de faire peur aux diffuseurs. Mais légalement, ils ne peuvent rien contre nous, sans quoi ils auraient déjà fait saisir le film!" Sereine elle aussi, Carmen Garcia, coréalisatrice: "Nous avons bien fait nos devoirs, tout a été vérifié par une équipe d’avocats avant la distribution du film, pour avoir une assurance erreur et omission. Nous ne sommes pas des kamikazes!"
Pas kamikazes, certes, mais quand même: L’Affaire Coca-Cola a démarré en 2004, lorsque les deux réalisateurs furent amenés à s’intéresser de près aux assassinats, systémiques, de leaders syndicaux colombiens travaillant pour des entreprises sous-traitantes de multinationales. Quatre cent soixante-dix personnes ont ainsi été tuées depuis 2002. "Nous avons choisi Coca pour ce qu’elle représente, symboliquement, et aussi parce que son argumentation, selon laquelle elle ne peut être tenue responsable des décisions prises au sein de ses franchises, ne tient pas la route: en réalité, la société mère est propriétaire à hauteur de 30 %, voire 40 %, des franchises impliquées dans les meurtres."
Les deux réalisateurs n’estiment pourtant pas être partis en croisade contre la multinationale: "Au départ, il s’agissait de relater une aventure humaine, explique Carmen, et non de marteler un message anti-Coca-Cola. Il n’existe pas de zone noire ou blanche, mais une question complexe, autour de ce qui aurait pu représenter un précédent juridique."
L’HISTOIRE
Les réalisateurs Carmen Garcia et Germán Gutiérrez suivent durant deux ans les démarches des avocats américains Daniel Kovalik et Terry Collingsworth (ancien directeur général de l’International Rights Advocates) devant les tribunaux fédéraux américains pour faire reconnaître la responsabilité légale de Coca-Cola dans les meurtres de huit syndicalistes colombiens. De Bogota à Pittsburgh, de Pittsburgh à New York, à mesure que les preuves s’accumulent et que la campagne Stop Killer Coke s’étend, la société ouvre secrètement la porte à une entente hors cour. Sur la table: une somme colossale, et une condition de dernière minute: que la campagne de syndicalisation cesse.