The Wild Hunt : La grande évasion
Cinéma

The Wild Hunt : La grande évasion

Alexandre Franchi travaillait dans le monde de la finance et a tout laissé tomber pour devenir cinéaste. Après avoir beaucoup travaillé en pub, il arrive avec The Wild Hunt, prix du meilleur premier long métrage au dernier festival de Toronto.

L’industrialisation du secteur cinématographique québécois à laquelle nous avons assisté au cours des dernières années a eu comme répercussion première de stimuler le secteur de la production indépendante, qui nous a depuis offert un nombre impressionnant d’oeuvres majeures. Dans la lignée des Rafaël Ouellet, Maxime Giroux, Charles-Olivier Michaud et autres Xavier Dolan, Alexandre Franchi (Troll Concerto, Fata Morgana) s’est laissé guider par l’urgence qui l’habitait de réaliser son premier long métrage en faisant le choix de s’autoproduire, avec tout ce que cela comportait de risques et d’incertitudes.

Coscénarisé par Mark Antony Krupa, l’une des vedettes du film, et par Franchi lui-même, The Wild Hunt raconte l’histoire d’Erik Rasmusson (Ricky Mabe), un homme dans la mi-vingtaine forcé de plonger à l’intérieur d’un jeu de reconstitution médiévale afin de regagner le coeur d’Evelyn (Kaniehtiio Horn), sa copine. Mais voilà, selon Bjorn (Krupa), le frère d’Erik, qui participe également au jeu, Evelyn a été faite prisonnière par Murthag (Trevor Hayes), l’ennemi des Vikings, qui n’a absolument pas l’intention de la laisser aller. Déjà, les règles commencent à se transformer, lentement…

Pour certains personnages du film, qui se lancent dans cet univers fantastique afin de s’évader de leur existence, l’arrivée d’Erik est particulièrement froissante: "Pour eux, explique le réalisateur, l’arrivée d’Erik est l’équivalent d’une percée soudaine du monde réel à l’intérieur de leur monde fictif. Les bases mêmes de leur jeu s’en trouvent ébranlées, et ils doivent alors décider s’ils vont laisser le tout s’écraser, ou s’ils vont lutter pour préserver leur univers de la destruction."

Dès les premiers instants du récit, Alexandre Franchi s’attache à montrer que la réalité du jeu est même parfaitement intégrée, chez certains personnages, qui semblent ne plus êtres inquiétés que par la création de leur propre mythe, à l’intérieur d’un jeu devenu plus vrai que nature. Le regard du spectateur, qui est aussi celui d’Erik, l’outsider, en est nécessairement troublé: "Je me suis ouvertement inspiré de la tragédie grecque pour construire le film, raconte Franchi. Les personnages de ces oeuvres portent souvent le poids de leur destin sur leurs épaules et cheminent, sous notre regard, vers une finalité que nous savons inéluctable."

"Un peu comme dans le bouquin Lord of the Flies de William Golding, poursuit-il, je souhaitais que les personnages du film vivent une sorte de régression, qu’ils empruntent une trajectoire psychologique qui les mènerait vers la décadence." Le drame psychologique premier, qui était aussi traversé par quelques touches d’humour, se métamorphose ainsi en véritable drame épique: "On est à cheval entre la comédie, l’horreur, le sordide et le tragique, explique le réalisateur. C’est quelque chose qui me plaisait beaucoup dans les sagas islandaises, dont je me suis également inspiré afin de construire le film."

Si réaliser un tel projet avec un budget de 400 000 $ est déjà un exploit en soi, c’est pourtant avec humilité qu’Alexandre Franchi parle de cette première expérience: "Je pense que si The Wild Hunt fonctionne aussi bien, exprime-t-il, en conclusion, c’est surtout grâce à un mélange de chance, d’instinct et de bonnes décisions prises dans l’urgence, alors qu’il fallait tout tenter en un seul plan. C’est exactement ça qui m’a fait triper, cette sensation de travailler dans le vide, sans aucun filet pour me protéger d’une éventuelle chute."

À voir si vous aimez /
The Beach de Danny Boyle, Ben X de Nic Balthazar, Demain dès l’aube de Denis Dercourt

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THE WILD HUNT

Il serait faux de prétendre qu’Alexandre Franchi accouche, avec The Wild Hunt, d’une première oeuvre pleinement maîtrisée qui proposerait, par la bande, une certaine idée du cinéma. D’abord, il faut dire que cela ne faisait clairement pas partie de ses ambitions, ensuite, que les maladresses qui traversent sa réalisation charment bien plus qu’elles agacent, car elles sont en adéquation quasi symbiotique avec les émotions ressenties par Erik, cet outsider dont nous accompagnons justement le parcours. Ainsi, l’instabilité et la frivolité de la caméra, que l’on devine être les conséquences de l’inexpérience de Franchi, s’offrent au regard de façon extrêmement rafraîchissante, un peu comme le ferait un ennemi qui se dévoilerait sans armes. On appelle cela de la candeur et oui, celle-ci peut être une qualité, surtout lorsqu’elle se produit à l’intérieur d’un tel récit.