Jean-Pierre Jeunet et Dany Boon / Micmacs à tire-larigot : Cré Bazil
Dans Micmacs à tire-larigot, le ludisme de Jean-Pierre Jeunet rencontre l’humour de Dany Boon afin de revisiter le combat de David contre Goliath.
À écouter Jean-Pierre Jeunet, rencontré au dernier Festival de Toronto, Micmacs à tire-larigot aurait vu le jour grâce à quelques revers. Ainsi, après avoir travaillé pendant deux ans sur l’adaptation de Life of Pi de Yann Martel, au cours desquels il aurait créé un storyboard élaboré, Jeunet apprend que le projet tombe à l’eau pour des raisons financières. Peu après, il refuse de tourner Harry Potter, pour des raisons artistiques, et entreprend l’écriture de Micmacs à tire-larigot avec l’idée de confier le rôle à Jamel Debbouze. À l’instar d’Emily Watson pour Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, ce dernier refuse le rôle pour des raisons personnelles. Entre alors en scène l’homme derrière le succès phénoménal de Bienvenue chez les Ch’tis: "Le destin a une fois de plus joué dans le bon sens puisque j’ai pu rencontrer monsieur. Et le film s’est fait vite", se souvient le réalisateur.
Bien que le rôle lui soit offert sur un plateau d’argent, Dany Boon se montre d’abord réticent: "Ça faisait pas mal de temps que les journalistes parlaient du projet avec Jamel, racontait l’acteur à Toronto, alors quand j’ai reçu la version écrite pour Jamel, je ne me suis pas du tout vu dans le rôle parce que je ne pouvais m’empêcher de voir ce petit personnage. J’avais un peu peur que ce soit une fausse bonne idée puisque je suis physiquement différent de Jamel." Le rôle en question est celui de Bazil, pauvre bougre devenu orphelin à la suite de l’explosion d’une mine et ayant reçu lui-même une balle dans la tête qui menace à tout moment d’éclater. Avec une bande de marginaux (dont Dominique Pinon, Jean-Pierre Marielle et Yolande Moreau), il part en guerre contre les marchands d’armes responsables de son malheur (André Dussollier et Nicolas Marié).
"En pensant aux personnages, je songeais à ceux de Toy Story, explique le cinéaste. Pour moi, c’était aussi Blanche-Neige et les sept nains. C’est également David contre Goliath… c’est assez pathétique parce que c’est le sujet de tous mes films: un orphelin qui lutte contre un ogre. L’ogre prend toujours un nouveau visage: dans Un long dimanche de fiançailles, c’est la mort; dans Amélie Poulain, son introversion, c’est son monstre. C’est toujours la même histoire… et je ne fais pas exprès!" Boon accepte le rôle après quelques improvisations concluantes à la caméra vidéo: "J’avais aussi besoin d’être rassuré, confie Jeunet, je fais toujours des tests avec tout le monde. On a alors vu nos deux univers qui se mélangeaient un peu comme l’eau froide de la rivière avec la mer, ça faisait de l’eau tiède à la bonne température." "On a une très grande complicité dans le travail, assure l’interprète de Bazil, on s’est rendu compte qu’on avait été le même genre d’adolescent à bricoler dans sa chambre… sans les filles." "C’est vachement pratique de travailler avec un autre metteur en scène, enchaîne Jeunet, que ce soit Kassovitz ou Jodie Foster, parce qu’on peut parler technique et il comprend." Boon poursuit: "Jean-Pierre est très exigeant envers les autres, mais avant tout avec lui-même. Il est d’une précision redoutable, et en même temps, il y a une fenêtre pour proposer des choses, inventer." Jeunet renchérit: "Parfois, je lui demandais même s’il avait des idées pour des répliques." Enfin, si tout se passait bien entre le metteur en scène et son acteur, le premier a tout de même dû faire le deuil d’un précieux complice, le directeur photo Bruno Delbonnel, qui a accepté de travailler avec David Yates sur Harry Potter and the Half-Blood Prince. "Ça me faisait plaisir qu’il fasse un grand film, car il en avait besoin. Je ne pensais pas que ça allait s’enchaîner si vite, et lorsque j’ai réalisé que je l’avais perdu, j’ai alors pris Tetsuo Nagata. J’avais aimé son travail sur La Môme (La Vie en rose) et j’avais aussi travaillé sur des pubs avec lui. Si le metteur en scène a une vision précise, il obtient ce qu’il veut. Vous avez vu qu’il y avait une continuité dans le travail. Que soit Darius Khondji, Bruno Delbonnel ou lui, en gros, c’est un peu la même chose", conclut avec assurance Jean-Pierre Jeunet.
Micmacs à tire-larigot
(Guillaume Fournier)
Épaulé par Tambouille (Yolande Moreau) et les membres de son joyeux clan de rescapés des rues, Bazil (Dany Boon, en grande forme) s’attaque à François Marconi (Nicolas Marié) et Nicolas Thibault de Fenouillet (André Dussollier), deux fabricants d’armes dépourvus de toute morale dont le business, par d’improbables caprices du destin, n’a eu de cesse de gâcher son existence. Le Français Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain) effectue un retour dans le temps avec Micmacs à tire-larigot, et revisite l’esthétique baroque qu’il avait concoctée en 1991 pour l’excellent Delicatessen. Comme autrefois, le réalisateur met tout son talent au service d’un scénario au discours politique extrêmement prononcé, afin d’articuler un long métrage amusant et dynamique que l’on pourrait aisément comparer aux oeuvres les plus réussies des meilleurs caricaturistes. À l’affiche le 4 juin.