La première chose qui surprend avec Les Herbes folles, c’est de réaliser que l’homme derrière L’Année dernière à Marienbad, d’après un scénario de Robbe-Grillet, et Hiroshima mon amour, écrit par Duras, avait jusque-là refusé de signer une adaptation de roman. En quoi L’Incident de Christian Gailly a-t-il bien pu faire changer d’avis Alain Resnais?

Selon Sabine Azéma, dont il s’agit de la neuvième collaboration avec le vénérable réalisateur, la raison en est toute simple: "En fait, c’est très long de trouver un scénariste, une idée, de la faire développer. Des fois, après des mois d’écriture, il y a des scénarios qui n’aboutissent pas. Après avoir lu le roman de Gailly, qui lui plaisait, Resnais a dit: "Allez hop! Comme ça, on va tourner plus vite." Je pense que le roman se prêtait bien au cinéma de Resnais."

Dans Les Herbes folles, la muse de Resnais incarne Marguerite Muir, dentiste qu’on ne recommanderait pas à son pire ennemi ("Je me suis vengée de certains dentistes qui nous font mal!") dont le passe-temps est de piloter des petits avions. À la voir si resplendissante à l’écran, on n’a pas de difficulté à la croire lorsqu’elle avoue qu’elle est entrée avec aisance dans cet univers décalé.

"Resnais m’avait demandé de lire à haute voix les livres de Gailly, se souvient Azéma. Pour moi, c’est une écriture qui correspond à mon rythme, assez rapide, un peu haché, à mon souffle, ma façon de parler. Il n’y avait pas beaucoup de différence entre le réel et l’imaginaire, entre ma vie vraie et celle du plateau de cinéma. En plus, je n’ai pas eu à changer physiquement; même les costumes sont des vêtements que j’ai chez moi. Bref, c’était le plein pied pour moi."

À propos du caractère insolite du film où l’on s’embrasse au son de la musique de la Fox en annonçant la fin, elle poursuit: "Ça, c’est le côté ludique de Resnais, qui veut vous surprendre. L’image compte beaucoup aussi; tout est créé comme des tableaux vivants. Les cadrages, la lumière sont extrêmement bien pensés et travaillés. Et puis, vous avez ces personnages qui sont comme les herbes folles du titre, qui n’ont rien pour fonctionner ensemble, s’aimer et tout d’un coup, le destin, à cause d’un tout petit incident, un sac à main volé, va dérouler sa pelote."

Au sortir de la projection, il y a fort à parier que plusieurs discuteront un long moment de cette finale pour le moins déroutante: "J’aime bien quand je vais au cinéma qu’on ouvre une fenêtre et qu’on me permette d’y faire entrer mon imaginaire, mes rêves. Le propre de ce film, avec ses mystères et ses surprises, c’est qu’on ne vous dit pas tout et qu’on vous demande de donner votre interprétation. Au fond, c’est un jeu… qui se termine par une pirouette et une petite phrase charmante. Pour ma part, je garde pour moi ce que je pense de la fin", conclut Sabine Azéma.

Les frais du voyage à Paris ont été payés par Unifrance.

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Les Herbes folles

En sortant d’une boutique de chaussures, la dentiste et pilote d’avion Marguerite Muir (Sabine Azéma, rayonnante et parfaitement dans son élément) se fait voler son sac à main. Plus tard, l’inquiétant Georges Palet (André Dussolier, tout à fait dans le ton décalé du film) trouve le portefeuille de la demoiselle. Commence alors entre eux une singulière relation. Narré par le désinvolte et suave Édouard Baer, Les Herbes folles se révèle un délice dépaysant. S’amusant à créer des mouvements de caméra surprenants, lesquels nous rappellent à chaque instant qu’on est bien au cinéma, où le rêve et la fantaisie sont rois, et non dans la vraie vie, Alain Resnais salue avec un ludisme irrésistible l’âge d’or hollywoodien. Enfin, se retrouvent dans cet univers peuplé de personnages irrationnels trois acteurs de Desplechin, Anne Consigny, Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric, qui rendent des plus savoureuses les répliques caustiques finement ciselées.