Filière 13 : 3 flics su'l sofa
Cinéma

Filière 13 : 3 flics su’l sofa

Trois ans après Les 3 p’tits cochons, récipiendaire du Billet d’or aux Jutra et de la Bobine d’or aux prix Génie en 2008, Patrick Huard retrouve Paul Doucet, Claude Legault et Guillaume Lemay-Thivierge, qu’il dirige dans la comédie Filière 13 où tous trois incarnent des policiers au bord de la crise de nerfs.

En 2007, au moment de la sortie de son premier long métrage, Les 3 p’tits cochons, Patrick Huard savait bien que bon nombre l’attendaient avec une brique et un fanal. Un humoriste qui se prend pour un réalisateur, et quoi encore? À preuve, même s’il caressait depuis sa jeunesse le rêve de passer à la caméra, l’humoriste boulimique de cinéma, pourtant reconnu pour son franc-parler, a longtemps hésité avant d’oser l’avouer.

C’est son pote, le rockeur Éric Lapointe, qui le poussa le premier vers la réalisation en lui demandant de signer un clip pour sa chanson Un beau grand slow. Huard, culotté, a demandé à Luc Picard et Pierre Falardeau, dont il admirait les talents de réalisateur, d’y figurer: "Après une heure de tournage, j’étais fait à l’os, se souvient-il. Peu importe si j’allais être bon ou non, j’étais devenu addict."

Suivirent Les 3 p’tits cochons, d’autres clips, des pubs et, surtout, les 44 demi-heures de Taxi 0-22. À quelques jours de voir son deuxième long métrage prendre d’assaut les salles de cinéma à travers le Québec, comment se porte Huard le réalisateur?

"Il s’assume plus, il a plus d’heures de vol derrière la cravate. À un moment donné, ce qui te donne confiance, c’est pas juste les résultats, mais les équipes avec lesquelles tu travailles, qui te font des commentaires, qui veulent travailler avec toi dans différentes situations."

L’équipe du moment, c’est celle des 3 p’tits cochons, dont le producteur Pierre Gendron, les scénaristes Claude Lalonde et Pierre Lamothe, le directeur photo Bernard Couture, le concepteur artistique Gilles Aird et ceux qui se surnomment entre eux les frères: Paul Doucet, Claude Legault et Guillaume Lemay-Thivierge.

Comme le rappelle Doucet, Louis Choquette devait d’abord réaliser ce qui s’appelait alors Opération tablette. C’est à l’arrivée de Huard à la barre du projet, lequel aurait souhaité un peu plus de temps pour jouer avec le scénario, que le choix des acteurs s’est arrêté: "Ce projet n’est pas parti du succès de l’autre film. Rapidement après la fin du tournage, Pierre Gendron nous a parlé de ce scénario qui avait été écrit avant Les 3 p’tits cochons. Pierre pensait qu’il s’était passé quelque chose de particulier entre les trois acteurs sur le plateau; je crois que Patrick avait sa part là-dedans aussi."

"C’est une continuité et c’est très rare que ça arrive dans le cinéma québécois, explique Lemay-Thivierge. Les Français et les Américains le font bien, alors pourquoi pas nous? La chimie qui s’était installée dans Les 3 p’tits cochons est restée. Dès le premier jour de tournage, on a mis nos combinaisons de ski alpin et vlan! on est partis. C’est magique!"

"Avec Pat, poursuit Legault, on aime faire des comparaisons sportives. Si on jouait au hockey, Guillaume et moi, on serait à l’attaque. On a une bonne vitesse et nos passes sont sur la palette; Paul, qui a une justesse écoeurante, serait le joueur de centre."

Et la détresse, bordel!

Alors que Les 3 p’tits cochons mettait en scène les mésaventures extraconjugales de trois frères, Filière 13 raconte les tribulations de trois confrères policiers en détresse. Policier émérite, Thomas (Claude Legault) souffre depuis quelque temps d’horribles maux de tête qui lui font commettre de graves erreurs; porte-parole de la SQ, Jean-François (Guillaume Lemay-Thivierge) est depuis peu paralysé par une phobie sociale; quant à leur patron, Benoît (Paul Doucet), ébranlé par sa récente séparation, il file sa femme (Marie Turgeon) nuit et jour.

À propos du sujet doublement tabou, la détresse masculine dans un milieu rimant avec virilité, Patrick Huard avance: "Il y a à peu près 20 ans, quand j’ai commencé dans le métier, il y avait une propagande antimâle très, très puissante. Quelqu’un avait dit qu’un Marc Lépine sommeillait en chaque homme; j’en parle aujourd’hui et j’en ai encore les larmes aux yeux. Cette propagande antimâle n’a pas aidé, car elle a dénaturé puis dévalorisé tous les métiers qui sont purement masculins. Je trouvais ça bien qu’on prenne l’image du supermâle comme le policier et qu’on montre sa fragilité et non son incompétence."

"Si tu veux exploiter un sujet tabou, il ne faut pas que tu sois tabou sur tous les fronts, croit Guillaume Lemay-Thivierge. Il faut prendre un sujet connu et l’explorer sous un autre angle. Au fond, c’est l’fun de voir des superhéros à terre… Ironiquement, au moment de tourner, les quatre gars, on était très préoccupés, dépassés par nos vies personnelles et professionnelles. On s’est donc nourri de ça pour nos personnages."

Préparant depuis deux ans une série policière avec Réal Bossé, Claude Legault a eu la chance de faire des patrouilles de nuit avec des policiers: "Les racines de Filière 13 sont plantées dans quelque chose de déstabilisant. C’est impossible que ces hommes et ces femmes qui vivent ce métier-là ne puissent pas tomber dans des états dépressifs ou de détresse. C’est un job qui est trop dur, où tu rencontres de la misère et de la violence à longueur de journée. C’est sûr que tu craques. En plus, ils sont détestés. Être pompier aussi, c’est difficile, mais on te vénère parce que t’es un héros. Peu importe le bon coup que tu vas faire, si t’es policier, t’es de la marde."

Paul Doucet abonde dans le même sens: "J’ai un chum qui est dans la police – et j’espère qu’il n’aura pas de problèmes à cause de ça – à qui j’ai raconté grosso modo les symptômes des trois gars. "Vous n’êtes pas dans la fiction, mon homme", qu’il m’a dit. Comme l’armée, c’est un milieu où l’on n’a pas le droit de montrer ses faiblesses. Un policier qui donne une contravention ou qui va intervenir entre deux gangs de rue ne peut pas apporter avec lui ses états d’âme, il n’a pas le choix d’être tough. C’est désolant de savoir qu’ils peuvent recevoir de l’aide, mais que d’y recourir est très mal vu."

"On peut se mettre la tête dans le sable tant qu’on le voudra, mais je commence à trouver qu’il y a beaucoup trop de unes de journaux d’hommes qui se sont enlevé la vie ou l’ont enlevée à leur famille, qui sont désespérés, qui prennent des pilules… Je n’aime pas faire la morale, mais s’il y a une phrase qu’il faut retenir de Filière 13, c’est quand le personnage de Paul dit à ses deux amis: "J’ai besoin d’aide"", conclut Patrick Huard.

À voir si vous aimez /
Les 3 p’tits cochons de Patrick Huard, De père en flic d’Émile Gaudreault, Analyze This de Harold Ramis