35e Festival international du film de Toronto (TIFF) : Échos de la Ville Reine
Au 35e Festival international du film de Toronto, le hockey, le ballet et l’émancipation de la femme sont parmi les sujets à l’honneur.
Le hockey et la musique font-ils bon ménage? À en juger par Score: A Hockey Musical de Michael McGowan (One Week), rien n’est moins sûr. De fait, avec ses chansons pseudo-rock, ses chorégraphies maladroites et ses bonnes intentions, le film qui devait plaire à tous a déplu à plus d’un. "Je n’arrive pas encore à comprendre pourquoi Olivia Newton-John a accepté de tourner un film sur le hockey en février en Ontario", s’est écrié le réalisateur en présence de la star de Grease lors de la grande soirée d’ouverture du TIFF. Eh ben, nous non plus.
Bien que bavard et téléfilmesque, mais non moins émouvant au dernier acte, Barney’s Version, de Richard J. Lewis (Whale Music), d’après le roman du Montréalais Mordecai Richler, l’un des romanciers canadiens les plus populaires, dont on reconnaît l’humour caustique, aurait été plus approprié comme film d’ouverture. À la conférence de presse, où l’excellent Dustin Hoffman brillait par son absence, Paul Giamatti, remarquable dans le rôle-titre, a d’ailleurs avoué s’être inspiré de Richler pour son personnage: "Il y a de très belles photos de lui se promenant dans la rue, assis à un bar, fumant un cigare. Je me disais que ce gars était vraiment cool et que je pourrais le jouer. J’étais aussi alléché à l’idée de jouer ce "bâtard" sur plusieurs décennies."
Y a-t-il quelqu’un à Toronto qui n’ait pas aimé Incendies de Denis Villeneuve? Il semble bien que non. À tel point qu’une rumeur persistante veut que cette bouleversante adaptation de la pièce de Wajdi Mouawad représente le Canada dans la course aux Oscars. Chaudement acclamé à Venise et à Telluride, Incendies sera distribué par Sony Pictures Classics aux États-Unis. Trois temps après la mort d’Anna de Catherine Martin a également ému plus d’un spectateur. À quand un film québécois pour ouvrir le bal à Toronto? Au moins, le groupe Karkwa était invité pour inaugurer le Bell Lightbox, joujou de 200 M$ à faire damner tous les cinéphiles hors de Toronto. À le visiter, on comprend mieux pourquoi le TIFF est le deuxième festival de films le plus important au monde.
Folie et descente aux enfers
L’un des films dont on a le plus parlé depuis le début des festivités est sans contredit I’m Still Here, de Casey Affleck, documentaire sur Joaquin Phoenix qui aurait quitté le métier d’acteur pour devenir chanteur de hip-hop. Quant à savoir si le film est un canular ou non, nous croyons qu’il s’agit plutôt d’un exercice complaisant fait entre amis qui n’est pas sans rappeler l’humour d’Andy Kaufman, qui se plaisait à créer le malaise, avec un soupçon de Sacha Baron Cohen (mieux connu sous le nom de Borat) pour le côté volontairement provocateur. Joaquin Phoenix, dont la détresse réelle ou fictive ne laisse personne indifférent, serait-il le plus grand method actor de tous les temps? On saura peut-être la vérité lors de son passage chez David Letterman le 22 septembre.
Parmi nos coups de coeur, se trouve Black Swan, de Darren Aronofsky, qui dépeint la folie d’une ballerine ambitieuse. Devant ces images cauchemardesques, par moments outrancières, on pense à Requiem for a Dream, Repulsion de Polanski et Possession de Zulawski. Dans le rôle principal, Natalie Portman s’avère d’une intensité remarquable (un Oscar, s.v.p.!); Mila Kunis, qui incarne avec aplomb son intrigante rivale, a remporté le prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir à Venise.
Scènes de la vie conjugale
Parmi les reprises cannoises, mentionnons le très touchant Another Year, de Mike Leigh, qui suit pendant un an la vie tranquille d’un couple parfait (Jim Broadbent et Ruth Sheen) dont la meilleure amie (Lesley Manville) vit difficilement le célibat. "Je ne crois pas que le film avance que seuls les gens en couple peuvent être heureux. On a tant raconté des histoires de couples malheureux au cinéma, pourquoi ne pas se réjouir de voir enfin un couple qui fonctionne après 30 ans de mariage?" confiait Broadbent au cours d’un entretien.
Le public a aussi pu découvrir la dernière comédie de Woody Allen, le grinçant You Will Meet a Tall Dark Stranger, où Josh Brolin incarne un écrivain en panne d’inspiration, et mari volage, qui commettra un acte sans scrupule: "Ce n’est pas parce que j’ai l’un des rôles principaux que je remplace Woody Allen à l’écran; nous sommes totalement différents sur tous les plans", a avancé le séduisant et hilarant acteur lors d’une table ronde.
"C’est très libérateur d’adapter un roman graphique puisque celui-ci est en quelque sorte un story-board, tout y est. Je suis tout de même allé à la source du roman, qui est Far From the Madding Crowd de Thomas Hardy, pour comprendre davantage ce qu’en avait fait l’auteure Posy Simmonds", admettait Stephen Frears à propos de Tamara Drewe, jouissive comédie rose bonbon acidulé mettant en vedette la ravissante Gemma Arterton (Alice Creed) en journaliste people qui fait des ravages dans le coeur des hommes de son village natal.
Enfin, Potiche, de François Ozon, d’après la pièce de Barillet et Grédy, a été une plus que charmante surprise. L’impériale Catherine Deneuve y joue la femme de Fabrice Luchini, misogyne propriétaire d’une usine de… parapluies, qui la confine à sa cuisine. Quand celui-ci tombe malade à cause de la grève de ses employés, madame prend sa place à l’usine. Un ancien flirt, incarné par Gérard Depardieu, lui prêtera main-forte. En résulte un film délicieusement kitsch et décalé sur la libération de la femme et le prolétariat. Il est toutefois étonnant de voir Deneuve reprendre un rôle créé par Jacqueline Maillan: "De François, rien ne me surprend, racontait l’actrice. Je n’ai pas vu la pièce parce que je n’aime pas le boulevard, mais François l’a beaucoup modernisée, adaptée, y a ajouté un petit côté subversif. Tourner une comédie avec Ozon, c’est un cadeau." À cela, Ozon a demandé aux journalistes: "Je ne pouvais imaginer que Catherine dans le rôle. Je ne voulais pas d’une seconde Jacqueline Maillan. Pourriez-vous me nommer une autre actrice qui aurait pu tenir ce rôle?" On ne peut que lui donner raison.