Yves Simoneau, Guy A. Lepage et Rachid Badouri / L’appât : Bonjour la police!
Dans L’appât d’Yves Simoneau, un policier québécois incompétent, joué par Guy A. Lepage, est jumelé à un agent des services spéciaux français, incarné par Rachid Badouri.
De 48 Hrs. à Rush Hour, en passant par Lethal Weapon, Hollywood nous a offert de nombreuses comédies policières dans lesquelles deux partenaires dépareillés tentent de mener à terme une enquête sans se laisser distraire par leur manque d’affinités. Depuis quelques années, le genre est aussi florissant chez nous: on n’a qu’à penser à Bon cop, bad cop et De père en flic, incidemment les deux longs métrages les plus populaires de l’histoire du box-office québécois.
L’appât connaîtra-t-il un succès similaire? "J’aime le croire", affirme Guy A. Lepage, rencontré avec les autres membres de l’équipe du film au resto Accords, dont il est copropriétaire avec Chantal Fontaine. "Je l’ai vu hier pour la première fois et j’ai été pas mal impressionné. Il y a beaucoup d’action, et je ne trouve pas qu’il y ait de ruptures de ton majeures. Moi, c’est ça qui me fait décrocher d’un film, quand je sens que les comédiens deviennent ironiques par rapport à leur personnage."
Ainsi, même si le lieutenant de la police de Montréal Prudent Poirier est un crétin digne d’un sketch de RBO, Lepage tenait à l’humaniser: "Que ce soit un film ou un sketch, faut que tu regardes le personnage et que la proposition soit claire instantanément. Dans un film, faut aussi que tu le rendes humain, faut qu’il vive, faut qu’il soit touchant. Tandis que tu ne te poses pas de questions sur Madame Brossard, par exemple. Qu’est-ce qu’elle faisait avant, pourquoi elle est rendue de même? On s’en torche!"
Lorsqu’on lui fait remarquer que ladite Madame Brossard a néanmoins quelque chose de touchant, Guy A. répond du tac au tac: "C’est parce que tu l’as vue dans 25 sketchs, puis c’est toi qui lui as fait une backstory, pas moi. Moi, je te garantis qu’elle n’en avait pas!"
Aperçu l’été dernier dans Y’en aura pas de facile, Rachid Badouri trouve son premier grand rôle au cinéma dans L’appât, où il incarne Ventura, un agent d’élite français forcé bien malgré lui de faire équipe avec Poirier. "C’est un fantasme qui se réalise, c’est un rêve d’enfant", confie celui qui a intitulé son premier spectacle Arrête ton cinéma.
Bien qu’il aurait préféré faire le bouffon plutôt que de jouer le straight man, l’humoriste, qui aimerait aussi un jour se glisser dans la peau d’un personnage tordu comme le Joker dans The Dark Knight ou Tony Montana dans Scarface, n’a pas hésité à accepter le rôle de Ventura. "Ma devise, c’était: "Farme ta yeule et vas-y, commence pas à faire ton difficile. Quand t’auras 170 films à ton actif, y compris deux Oscars, tu pourras peut-être avoir un droit de regard sur ce qu’on te propose!""
Action!
Un des plaisirs de L’appât est de retrouver Yves Simoneau à la barre d’un long métrage québécois, son premier depuis Dans le ventre du dragon, il y a plus de 20 ans. Mais même s’il a passé la majorité de son temps depuis à travailler sur des projets internationaux (le téléfilm lauréat de six prix Emmy Bury My Heart at Wounded Knee et la minisérie Napoléon, notamment), Simoneau estime être toujours demeuré un cinéaste québécois.
"Quand je tourne à l’étranger, j’amène une vision qui est un héritage de ce que j’ai fait ici, et non pas un désir de me fondre dans le milieu dans lequel je me trouve. J’y amène mon point de vue, et quand je reviens ici, ce point de vue là est enrichi d’une expérience d’ailleurs. De tourner dans des environnements différents, sur des sujets différents, dans des genres différents, ça te nourrit énormément."
L’appât a été l’occasion pour le réalisateur de renouer avec plusieurs collaborateurs de longue date, dont le directeur photo Guy Dufaux et le directeur artistique Michel Proulx: "Imaginez le plaisir de retrouver ces gens-là! Non seulement ce sont de grands créateurs, mais aussi des gens humainement fabuleux. L’aventure a été d’autant plus agréable à cause de ça."
Pour Guy A. Lepage, la présence d’Yves Simoneau à la réalisation et à l’écriture (il a cosigné le scénario avec William Reymond) était cruciale. "En comédie, si ça marche, c’est parce que le scénario est bon et que la réalisation est efficace. Les comédiens ne peuvent pas sauver un film. Ils peuvent être drôles dans un film plate, mais à la fin, tu vas quand même dire que c’était plate", souligne l’animateur de Tout le monde en parle. "Mais dans L’appât, même si tu enlèves les deux humoristes et toutes les jokes, tu as une vraie histoire, une vraie mécanique de film policier et de vraies scènes d’action."
"On veut compétitionner avec des films qui ont beaucoup plus de budget, sans que ça paraisse, poursuit Simoneau. Dans L’appât, on passe de la comédie à l’action et vice-versa. Réussir à le faire de façon fluide, c’était ça le défi, afin que ce soit pour les spectateurs ce qu’on appelle une ride."
À suivre?
Pour les deux têtes d’affiche de L’appât, une des conséquences les plus heureuses du tournage est l’amitié qui est née entre eux. "C’est mon frère, insiste Badouri au sujet de Lepage. C’est quelqu’un qui m’a vraiment appris beaucoup, qui est devenu un mentor pour moi."
Guy A. renchérit: "On n’a rien en commun, Rachid et moi. Il est jeune, moi je suis plus âgé. Il ne boit pas, je bois. Il ne joue pas, je joue au poker. Il est bien élevé, il a des convictions familiales et religieuses que je n’ai pas pantoute… Mais on ne se juge pas, il accepte que je sois de même et j’accepte qu’il soit comme il est. Le mot "tolérance" est inscrit en grosses lettres entre nous deux."
On devine que le duo aimerait bien se retrouver dans une suite à L’appât, une possibilité que la scène finale du film semble annoncer ouvertement. "Ça paraît, hein! s’exclame Badouri. C’est comme dans Back to the Future, quand Doc Brown débarque à la fin: "Marty! Tes enfants, dans le futur!" On a voulu laisser entendre que si vous aimez ça, soyez nombreux à le manifester et on va en faire un deuxième."
Pourquoi ne pas avoir carrément inscrit "À suivre" à l’écran? "On ne l’a pas fait par pudeur! Ç’aurait été présomptueux… Car au final, c’est le public qui décide", rappelle Lepage.
"Une suite à L’appât, est-ce nécessaire? Non. Est-ce possible? Oui. Est-ce souhaitable? On verra", conclut Simoneau en souriant.
À voir si vous aimez /
The Other Guys d’Adam McKay, Les Dangereux de Louis Saia, C’est pas moi, c’est l’autre d’Alain Zaloum
Reposant sur la formule éculée du tandem de flics dépareillés, L’appât offre bien peu de surprises sinon celle de provoquer très peu de fous rires (pas même avec ses bloopers présentés durant le générique de fin, c’est dire). De fait, si la réalisation d’Yves Simoneau, bien soutenue par le montage énergique de Richard Comeau lors des scènes d’action, démontre que celui-ci n’a pas perdu la main, on peut difficilement louer sa collaboration avec le journaliste français William Reymond.
Ainsi leur scénario, dont l’intrigue ténue et invraisemblable ne suscite guère d’intérêt, croule sous les navrants clichés culturels et linguistiques. Des Français pédants aux Québécois colons, en passant par les mafiosi italiens et les gangs de rue haïtiens, rien n’échappe aux scénaristes d’Assassin’s Creed: Lineage. Non seulement certains passages deviennent-ils embarrassants, dont les funérailles du mafioso et la visite au club haïtien, mais d’autres, notamment la scène finale laissant entendre une suite, s’étirent inutilement. Trop souvent, le sens du timing, essentiel en comédie, manque cruellement à l’appel.
Enfin, pendant que Maxim Roy et Serge Dupire défendent de leur mieux des personnages ridicules, et que la sculpturale Ayisha Issa se meut discrètement d’une scène à l’autre, Guy A. Lepage et Rachid Badouri tirent leur épingle du jeu sans pour autant former un duo inoubliable ni se révéler de grands acteurs. (M. Dumais)