Elia Suleiman / Le temps qu'il reste : Souvenirs de Nazareth
Cinéma

Elia Suleiman / Le temps qu’il reste : Souvenirs de Nazareth

Chronique familiale inspirée de la correspondance de ses parents, Le temps qu’il reste, d’Elia Suleiman, évoque en quatre temps le conflit israélo-palestinien.

On le compare à Tati, pour sa poésie burlesque, à Keaton, pour son regard perçant, et à Chaplin, pour sa volonté de dépeindre la société. S’il faut en croire Elia Suleiman lui-même, le réalisateur palestinien n’aurait réellement découvert ces cinéastes que lors de son exil à New York, de 1982 à 1993, grâce à des amis. De son propre aveu, il ne se considère même pas comme un cinéphile.

"En fait, je suis amoureux de grands films, confiait-il lors d’un entretien au Festival international du film de Toronto en 2009. Je ne viens pas d’un milieu cinéphile, vous savez, Nazareth est une petite ville. Évidemment, j’ai vu des films dans ma jeunesse, mais je ne suis pas le type de réalisateur dont le père lui a offert une caméra lorsqu’il était jeune. C’est pour cela que je dis que je ne suis pas cinéphile. Ce serait vraiment intéressant de pouvoir demander à Keaton s’il l’était et ce qui l’a inspiré. C’est d’ailleurs ce qui explique peut-être que mon cinéma est fait de silences, je n’en suis qu’à mes débuts, et le cinéma fut d’abord muet."

À être ainsi comparé à de tels génies, on pourrait croire que Suleiman croulerait sous la pression; or, c’est plutôt la question de l’identité qui lui cause des soucis: "Cette pression me vient de l’endroit d’où je viens, de mon identité, que je semble avoir tendance à oublier. On me rappelle constamment que je suis Palestinien, mais j’ignore ce que cela veut dire. Ce sont les questions à propos de mon identité que je trouve redondantes et non les comparaisons que l’on fait à l’endroit de mes films. Je crée mes films avec des images et des sons et non à partir de mon identité palestinienne. Ma façon de voir le monde provient de ma diversité et pas seulement du fait que je suis Palestinien et que j’ai vécu à New York."

À l’entendre parler de lui, on comprend mieux que Le temps qu’il reste ne propose pas une analyse du conflit israélo-palestinien: "Je suis totalement indiscipliné lorsque vient le temps de parler de ce qui est dans l’air du temps. Je souffre d’une dyslexie mondiale, c’est-à-dire que j’ignore tout ce qui se passe jusqu’à ce qu’on me le dise."

Cela expliquerait-il pourquoi le silence est si important dans son oeuvre? "La question serait de demander aux réalisateurs américains pourquoi leurs films sont si bavards et tapageurs, ne laissant ainsi aucune place à la réflexion pour le spectateur. Je crois que le silence est poétique, qu’il fait partie de nous, témoigne de notre présence et, ultimement, de notre absence. Il peut être dérangeant, mais également posséder une dimension esthétique et aussi un caractère démocratique, offrant au spectateur un dialogue avec l’oeuvre. Le silence rehausse l’image; n’oubliez pas que plusieurs effets sonores dans mon film racontent le récit et que le silence y devient aussi éloquent que les dialogues", conclut Elia Suleiman.

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Avec ses plans statiques minutieusement composés, ses personnages souvent isolés dans des cadres de portes ou de fenêtres, le visage placide, le corps rigide, son dialogue peu abondant et son action minimaliste, Le temps qu’il reste évoque davantage un vieil album de photos qu’une chronique familiale en temps de guerre. De fait, bien qu’on y croise soldats et machines de guerre, et qu’une rafale de mitraillette se confonde avec les premières notes d’une chanson pop, ce troisième long métrage d’Elia Suleiman s’intéresse au quotidien tranquille de son père (Saleh Bakri), trafiquant d’armes, et de sa mère (Yasmine Haj), qu’il raconte en une suite de scènes cocasses, lesquelles se répètent en amusantes variations. Alors que le personnage du cinéaste en devenir avance en âge, une douce mélancolie émane du film, témoignage de l’inéluctable passage du temps.