Inni : Attaque onirique
Cinéma

Inni : Attaque onirique

Le cinéaste Vincent Morisset rend un hommage impressionniste au groupe Sigur Rós. Une création visuelle qui fait corps avec l’oeuvre du groupe islandais.

Le travail du réalisateur Vincent Morisset est de plus en plus reconnu ces dernières années grâce à des collaborations significatives avec les artistes Émilie Simon, City and Colour et surtout Arcade Fire – son documentaire Miroir noir faisait la genèse de l’album Neon Bible. Dernièrement, c’est la sortie d’un film-concert sur le groupe islandais post-rock Sigur Rós qui attire l’attention des mélomanes et accapare son agenda. Les projections se multiplient à travers l’Europe; cette semaine, Morisset revenait d’ailleurs tout juste d’une tournée promotionnelle en Angleterre en compagnie du groupe. "Même après ces quelques années de fréquentation, ils sont encore très difficiles à lire, nous indique-t-il à propos des musiciens. Ils sont mystérieux et intrigants, sinon énigmatiques. C’est parfois déstabilisant. Mais ce n’est pas par caprice, ils ne jouent pas de personnages dans la vie. C’est pour ça que nous avons ajouté des archives lors du montage d’Inni, pour montrer que ces musiciens peuvent faire des blagues, jouer aux cons et vivre normalement en tournée. Ce ne sont pas des surhommes!"

Intitulée Inni (qui veut dire "à l’intérieur"), cette captation d’un concert en Angleterre en 2008 se distingue du documentaire Heima, paru en 2007. Avec ce nouveau document, nous avons plutôt droit à une interprétation visuelle de la musique du groupe, une forme de témoignage artistique qui nous montre l’impact que peut générer cette création musicale en concert. "Heima nous montre les racines du groupe et l’influence de son environnement (Reykjavik en Islande) sur son travail, précise le réalisateur. Inni est un projet complémentaire, plus viscéral et organique. Il montre la puissance scénique de Sigur Rós. C’est un groupe qui [en 2008] était au sommet de son art et qui allait mettre fin à l’aventure. Du moins à cette époque [Sigur Rós laisse planer les rumeurs à propos d’un retour en studio]. Il était primordial de montrer ce que ce groupe pouvait faire en concert."

Le travail n’a pas été simple. Il a fallu presque trois ans à Vincent Morisset pour aboutir au résultat final. Entouré au préalable d’une équipe de "caméramans en herbe", le réalisateur voulait concevoir un recueil d’images qui sortait de l’ordinaire. "Nous avons collaboré avec la maison de production anglaise Warp Films et Sébastien Lafleur [Continental, un film sans fusil] s’est ajouté à l’équipe. J’aurais pu engager des caméramans de profession, mais pourquoi ne pas expérimenter? Toutes les personnes qui ont été impliquées dans la captation vidéo ont un oeil particulier, une signature. Elles proviennent du monde du cinéma, de la fiction, du vidéo d’art et du documentaire. Je voulais les mettre à l’épreuve, totalement plongées dans la captation visuelle d’un concert avec une caméra. Confronté au live, on doit embrasser le chaos du direct! Juste à travers ce prisme, on se retrouvait déjà avec un film original."

Tourné en noir et blanc en numérique, le tout a été transféré sur bande analogique (16mm) pour permettre à l’équipe de métamorphoser l’image et de lui donner un caractère organique. Un exercice d’improvisation complété en temps réel que Morisset a fait avec l’artiste Karl Lemieux, qui avait déjà travaillé avec Godspeed You! Black Emperor. "Il s’agit de manipuler des objets [un bol de plastique, par exemple] en face de l’objectif ou de s’amuser avec nos doigts pour ajouter un effet kaléidoscopique. Il y a des moments de grâce où tout s’accorde avec la lumière ou avec le mouvement d’un musicien. Aujourd’hui, on utilise des ordinateurs très puissants qui nous donnent la possibilité de contrôler chaque microdétail. Ça peut devenir très clinique. Je voulais ajouter quelque chose d’imparfait, de presque onirique. Plus près du rêve que de la réalité."