Ora : Ombres dansantes
Cinéma

Ora : Ombres dansantes

Précédant Pina de Wim Wenders, Ora, court métrage aussi fascinant que déstabilisant de Philippe Baylaucq, propose une chorégraphie de José Navas tournée en thermographie HD 3D.

Quand il a communiqué avec José Navas pour une nouvelle collaboration, près de 15 ans après la sortie de Lodela, Philippe Baylaucq était curieux d’observer l’influence de la couleur sur la perception de corps en mouvement pour célébrer le centenaire de la peinture abstraite. Quand il a su qu’il bénéficiait d’une résidence de deux ans à l’Office national du film (ONF), il s’est lancé dans l’expérimentation technologique.

"Je me suis inscrit dans la lignée de McLaren en développant en parallèle la trame narrative et les outils servant à la raconter, commente le cinéaste. Pour des questions de budget, j’ai dû choisir une des trois technologies utilisées lors de l’année de tests et j’ai pris la décision délicate de faire une première mondiale en utilisant la thermographie HD en 3D. Il n’était alors pas du tout évident que j’arriverais à trouver deux caméras HD et à les synchroniser pour tourner en stéréoscopie."

Ce premier exploit réussi, il restait à tourner le film (en quatre jours), à le monter, et à coloriser les images noir et blanc du procédé thermographique. Classé au Canada’s Top Ten du Festival international du film de Toronto, Ora débute dans un magma cellulaire d’où émergent six êtres faits de lumière et de zones d’ombre, qui partent à la découverte d’un monde inconnu.

"Une des exigences particulières du projet concerne l’espace, explique Navas. Philippe parlait d’espace circulaire, de textures différentes côté nord ou côté sud, de mouvements de caméra, et il fallait que j’imagine tout ça quand je créais en studio. Il fallait toujours imaginer l’invisible et, en même temps, que le résultat soit extrêmement précis dans les mouvements et les tempos pour que les transitions soient claires et que tout soit synchrone au moment du montage. Ça a été très laborieux et ça a exigé une grande concentration."

D’une durée de 15 minutes, le film est un objet de curiosité en soi. Une aventure dans laquelle se sont embarqués les deux créateurs avec l’enthousiasme, l’engagement et l’ouverture nécessaires au surgissement d’un nouveau langage. S’il fallait être critique, on dirait que l’effet thermographique écrase les volumes révélés par la 3D et que l’esthétique si particulière de ces corps lumineux est gâchée par la présence de vêtements dont on voit les coutures, mais qui n’offrent pas de réelle barrière aux infrarouges.

"Je n’avais pas envie de voir des scrotums se balancer pendant la danse et ça reste une allégorie avec un artifice de danseurs portant des costumes", se défend Baylaucq. "On a fait des essais avec les corps complètement nus et c’est un défi auquel il faut vraiment être préparé", souligne Navas, qui a voulu respecter la pudeur de certains danseurs. "Le cinéma est toujours un art de compromis, rappelle Baylaucq. On pousse toujours un film le plus proche possible de la vision qu’on en a eue et je dois dire qu’on est quand même content avec Ora parce que les gens sont touchés et parfois même bouleversés."