65e Festival de Cannes : Des pleurs sous la pluie
Au 65e Festival de Cannes, il pleut sur la Côte d’Azur tandis que de grands réalisateurs redonnent au mélo ses lettres de noblesse.
À quelques jours de la remise de prix, deux noms reviennent souvent lorsqu’il est question de la Palme d’or: Jacques Audiard (Grand Prix du jury en 2009 pour Un prophète) et Michael Haneke (Palme d’or en 2009 pour Le ruban blanc), qui offrent deux films magistraux, deux bouleversantes histoires d’amour.
Dans De rouille et d’os d’Audiard, c’est sous le soleil de la Côte d’Azur que se déroule la rencontre entre une dompteuse d’orques amputée des deux jambes (Marion Cotillard) et un boxeur père de famille monoparentale (Matthias Schoenaerts). Aussi sombre que lumineux, ce mélodrame où le sort s’acharne sur les deux protagonistes que tout sépare séduit par la fluidité de sa mise en scène et la puissance de ses interprètes.
Campé dans un chic appartement parisien, Amour de Haneke traite de la dégradation du corps à travers le destin d’un couple d’octogénaires (magnifiques Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva) dont l’épouse perd son autonomie après une attaque. D’une précision chirurgicale, dénué de pathos, ce huis clos offre une vision sans complaisance de la vieillesse.
Autre histoire d’amour tragique que celle que nous propose Cristian Mungiu (Palme d’or en 2007 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours) dans Au-delà des collines où une jeune fille éprise de Dieu (Cosmina Stratan, sensible) tente de protéger son amie (Cristina Flutur, fiévreuse), qui n’accepte pas d’être supplantée par Dieu, des mains du pope tyrannique à la tête de leur petite communauté religieuse. Lent, dépouillé, suffocant, ce drame dérangeant se termine sur une note aussi inattendue que réjouissante qui bouscule l’ordre établi depuis le début.
Spécialiste des histoires de famille tragiques, Thomas Vinterberg (Prix du jury pour Festen en 1998) relate le récit pathétique d’un homme faussement accusé de pédophilie. Porté par le jeu magistral de Mads Mikkelsen, La chasse s’avère un drame des plus prenants, bien qu’il repose sur un récit aux airs de déjà-vu et une mise en scène assez conventionnelle, dont la fin donne froid dans le dos.
La chair est triste chez Ulrich Seidl qui, dans Paradis: Amour, livre une illustration crue et frontale de la prostitution masculine au Kenya à travers la quête d’amour d’une quinquagénaire enrobée (Margarethe Tiesel, d’une grande justesse). Film-choc s’il en est, Paradis: Amour perd de sa force au dernier acte en tombant dans la redondance.
Doyen de la compétition, Alain Resnais s’amuse à brouiller les frontières entre le théâtre et le cinéma, comme il sait si bien le faire, alors qu’il convie quelques piliers de sa famille d’acteurs, dont Sabine Azéma, Pierre Arditi et Lambert Wilson, pour une émouvante et ludique réflexion sur la vie, l’art et la mort. Notez que Vous n’avez encore rien vu n’est pas une oeuvre testamentaire malgré son enveloppante atmosphère crépusculaire.
Notes légères
Si la souffrance, la tristesse et la mélancolie se retrouvent au premier plan, trois réalisateurs ont opté pour la légèreté. Wes Anderson nous transporte dans les années 60 pour raconter l’idylle de deux préados tourmentés. Visuellement époustouflant, défendu par le jeu savoureusement décalé des Bill Murray, Bruce Willis et Cie, Moonrise Kingdom, présenté en ouverture, n’arrive pas à décoller à cause d’un récit peu captivant. Après le percutant Gomorra, Matteo Garrone propose Reality, amusante charge satirique contre la téléréalité en forme de conte moderne où le héros, poissonnier cabotin incarné par l’énergique Aniello Arena (qui n’a pu sortir de prison pour la durée du festival), est obsédé à l’idée de devenir une vedette instantanée. Rafraîchissant mais peu mémorable.
Il y a peu de chances que Ken Loach (Palme d’or en 2006 pour The Wind That Shakes the Barley) rejoigne le club des double palmés avec The Angels’ Share. Charmante et pétillante comédie sociale où de jeunes délinquants, le conquérant Paul Brannigan à leur tête, s’improvisent arnaqueurs dans l’univers des collectionneurs de whisky. Pas un grand cru, mais pas mal du tout.
Ayant partagé sa Palme d’or pour Le goût de la cerise en 1997 avec L’anguille d’Imamura, Abbas Kiarostami repartira sans doute bredouille cette année, son film Like Someone in Love ayant été le plus mal accueilli de cette 65e édition. Il est vrai que ce récit décousu de la rencontre d’une jeune escorte (Rin Takanashi, décorative) et d’un vieux professeur (Tadashi Okuno, attachant) ne va nulle part – malgré les nombreuses balades en auto à Tokyo! Décidément, l’Italie lui sied mieux que le Japon. La palme de la plus grande déception revient cependant à Hong Sangsoo qui, dans l’échevelé et chaotique In Another Country, réussit l’exploit de faire jouer faux Isabelle Huppert. Qui sait, David Cronenberg réussira peut-être à faire de Robert Pattinson un acteur accompli dans Cosmopolis…
Découvrez notre dossier complet sur le Festival de Cannes au www.voir.ca/cannes-2012.