Cosmopolis : Une journée particulière
Robert Pattinson et Paul Giamatti se livrent à un duel verbal musclé dans l’hypnotique Cosmopolis de David Cronenberg, d’après le roman culte de Don DeLillo.
Si David Cronenberg n’a pris que deux jours pour lire Cosmopolis de Don DeLillo, à la suggestion du producteur Paulo Branco, il ne lui en a fallu que six pour le transformer en scénario. Écrit en 2003, ce troisième roman de l’auteur américain raconte comment, en une journée, le jeune loup de la finance Eric Packer (Robert Pattinson) voit son monde s’écrouler alors qu’il tente de traverser Manhattan à bord de sa longue limousine blanche dans le but d’aller chez le barbier de son enfance.
"Les dialogues sont l’épine dorsale d’un scénario, expliquait Cronenberg devant un parterre de journalistes à Toronto. Après avoir retranscrit les dialogues du roman, je me suis dit: "Ai-je un film? Oui." J’ai ensuite rencontré Don DeLillo après qu’il eut lu le scénario. Ce qui l’a surpris, c’est que j’aie retiré le journal de Benno Levin (Paul Giamatti). En fait, j’ai enlevé les choses qui ne s’adaptaient pas."
David Cronenberg poursuit: "Je voulais préserver le point de vue d’Eric Packer dans sa limo. Ainsi, dans le roman, la rencontre avec Didi Fancher (Juliette Binoche) a lieu dans son appartement à elle, ce que je trouvais ennuyant, alors j’ai préféré qu’ils se voient dans la limo. De même, la scène d’orgie sur le plateau de cinéma, où Eric et sa femme Elise (Sarah Gadon) se réconcilient, ne pouvait pas fonctionner puisqu’il s’agit, selon moi, d’un fantasme d’Eric."
Idole des adolescentes grâce à son rôle de séduisant vampire dans la franchise Twilight, Robert Pattinson ne cache pas le fait qu’il a passé deux semaines à angoisser à l’idée de tourner sous la direction de David Cronenberg.
"David m’a tout simplement dit d’arrêter d’angoisser et que ce qui serait serait, confiait le jeune acteur britannique. Comme je ne suis pas un universitaire spécialise du postmodernisme, je ne pouvais pas arriver avec une analyse originale du roman en deux semaines. Dès la première scène avec Jay Baruchel, qui était très effrayé, sur le point de pleurer, je me suis laissé porter par le calme de David. Lorsque tu sais que la personne qui te regarde te fait confiance, tu suis ton instinct."
À l’instar d’une chanson de Bob Dylan, comme l’a dit Cronenberg, il n’était pas question de changer un mot ni une virgule des dialogues de Don DeLillo: "C’est une question de rythme, les dialogues sont à la fois réalistes et stylisés, ils reflètent bien comment s’expriment les Américains. En général, je ne veux pas que les acteurs deviennent scénaristes; ils ne sont tout simplement pas conçus pour cela", a lancé, pince-sans-rire, le cinéaste.
Alors que Pattinson est de toutes les scènes, Giamatti n’en avait qu’une. Et pas la moindre puisqu’il s’agit de la scène finale, laquelle comprend 22 pages de dialogue…: "Je me suis fait une histoire détaillée dans ma tête sur le personnage de Rob, racontait le débonnaire acteur américain. Benno éprouve un amour étrange pour Eric, une obsession qui tourne à la haine. Il est persuadé qu’il doit le tuer. Il a des problèmes de santé mentale et n’en revient pas qu’Eric, avec qui il a aimé travailler, se retrouve dans son bureau et ait avec lui ce tête-à-tête. En fait, Benno envie Eric, l’aime et a besoin de lui, et c’est ce qui le rend fou."
À propos de la finale du roman modifiée à l’écran, David Cronenberg conclut: "Il aurait été facile de finir comme dans le livre, mais j’ai voulu que cette rencontre se poursuive à l’infini. Pour moi, Cosmopolis est un road-movie lent. J’aimais l’esthétique régressive du roman; cette promenade en limo est pour Eric un retour vers l’enfance, comme je l’illustre dans cette scène chez le barbier."
Les frais du voyage à Toronto ont été payés par Les Films Séville, une filiale d’Entertainment One.
///
Cosmopolis
En confiant le rôle principal de Cosmopolis à Robert Pattinson, David Cronenberg prenait un très grand risque. S’il ne court pas la chance de remporter un quelconque prix du meilleur acteur, Pattinson tire néanmoins son épingle du jeu par son interprétation sobre, presque neutre, évitant de se faire bouffer tout rond par chaque acteur venu faire son numéro – dont Mathieu Amalric en entartreur cabotin et Kevin Durand en chauffeur imperturbable. Servi par une photo d’une élégance glacée et une mise en scène réglée au quart de tour où Cronenberg décloisonne avec brio l’habitacle de la limousine, ce road-movie atmosphérique fascine et agace à la fois par l’incessant babillage des personnages, lequel paraît par moments plutôt pompeux. En revanche, on en savoure chaque mot lors de l’affrontement final entre Pattinson et Paul Giamatti, qui y brille de mille feux sans écraser son jeune partenaire.
une phrase pour résumer ce très bon film de Cronenberg : « Si je n’étais Alexandre, je voudrais être Diogène… »