Steve Kerr / Columbarium / Fantasia : L’Évangile selon saint Matthieu
Ce dimanche, Fantasia présente le premier long métrage de Steve Kerr, Columbarium, troublant huis clos où David Boutin est assailli par ses démons intérieurs.
Diplômé de HEC et membre de l’Ordre des comptables agréés du Canada, Steve Kerr n’a certes pas le profil classique du cinéaste, mais son premier film, Columbarium, laisse croire qu’il pourrait bien se tailler une place dans le paysage du cinéma québécois. De fait, dès la première scène où Mathieu (David Boutin) se livre à un intense brossage de dents, Kerr crée un climat oppressant et on comprend tout de suite que ça ne tourne pas rond dans l’esprit de son personnage.
« On vit le film à travers les yeux de Mathieu, explique Steve Kerr au bout du fil. Quand on est seul avec lui, on peut se permettre de vivre de façon un petit peu plus oppressée, mais quand il y a des gens qui interviennent dans sa vie, évidemment, il faut relâcher un peu. Vers la fin du film, Mathieu va aller jusqu’à se retrouver seul face à lui-même, donc la scène d’ouverture est une façon d’installer l’angoisse qu’il va vivre jusqu’à la toute fin. »
Ingénieur financier établi aux États-Unis, joueur compulsif, Mathieu est contraint de se rendre avec son demi-frère Simon (Maxime Dumontier) au chalet de leur père (Gilbert Comtois), décédé dans d’étranges circonstances. Sur place, ils apprennent d’un ami du défunt (Pierre Collin) qu’ils devront construire un columbarium en sept jours s’ils veulent toucher leur héritage. Bientôt, de curieuses inscriptions, renvoyant à des versets de l’Évangile selon saint Matthieu, apparaîtront sur les murs.
« Aux États-Unis, dans la Bible Belt, les gens votent massivement pour le parti républicain qui est pour un capitalisme sauvage. Ils n’ont pas compris que Matthieu était un collecteur de taxes qui a dû choisir entre Dieu et l’argent. J’ai choisi cet apôtre parce que je trouve que c’est celui qui se rapproche le plus de notre système aujourd’hui. Si on a réussi à faire se repentir Matthieu à cette époque, pourquoi ne sont-ils pas capables de le comprendre 2000 ans plus tard? J’ai toujours trouvé absurdes des équations économiques basées sur l’individualisme, comme si l’équation d’altruisme n’existait pas en économie. Il y a donc un peu une critique du libre marché qui se cache là-dedans. »
Au fil des jours, l’état psychique de Mathieu se détériore. À l’instar de Brian De Palma dans Carrie, Kerr puise dans l’iconographie chrétienne pour installer une tension de plus en plus insoutenable: « J’ai gardé le côté iconographique, mais sans que ce soit lourdement religieux. Quand je montre l’atelier le jour, il est très industriel, froid; mais lorsque Mathieu y retourne le soir, je m’amuse délibérément à mettre en plan serré l’affiche du Sacré Coeur de la Vierge parce que je me rappelle que quand j’étais enfant, cet art-là créait des malaises chez moi. »
Bien que Columbarium soit de facture modeste, « réalisé avec les moyens du bord », comme l’avance Kerr, le réalisateur de 40 ans a pu s’entourer de gens de talent, dont les monteurs Carl D’Amours et Guillaume Gauthier, qui assurent au tout un rythme envoûtant, de même que le directeur photo Jean-Philippe Pariseau, qui a suivi Kerr dans son audacieux pari. Sans vouloir dévoiler la manière, il faut avouer que Columbarium propose aux spectateurs une expérience sensorielle singulière et déroutante. Aussi, de la même manière que dans Jaloux de Patrick Demers, des lieux accueillants tels un chalet confortable et une forêt luxuriante deviennent le théâtre de cauchemars éveillés.
« Tout est une question de perception. Ce lieu-là, je l’ai laissé beau, je n’ai pas essayé de le rendre menaçant. Je voulais montrer comment on peut passer à côté de ce qui est beau lorsqu’on n’est pas bien dans notre tête. Je ne voulais surtout pas faire comme dans Amityville ou Shining où les lieux nous font peur. Le chalet n’est pas un personnage menaçant, il le devient parce qu’on le voit à travers les yeux de Mathieu », conclut Steve Kerr.
À Fantasia, le 5 août à 17h10 à la salle J.A. de Sève, en présence du réalisateur, de David Boutin, Maxime Dumontier, Pierre Collin et Gilbert Comtois
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