Karakara : Combler le vide
Cinéma

Karakara : Combler le vide

En compétition au FFM, Karakara, de Claude Gagnon, propose une réflexion sur la vieillesse en suivant le parcours d’un intellectuel québécois au Japon.

En japonais, le mot karakara renvoie à une carafe dont on se sert pour la liqueur awamori; signifiant "vide vide", ce mot se veut la reproduction du son de la boule que l’on glisse dans la carafe pour indiquer qu’elle est vide. Rencontré tout juste après la projection de Karakara, chaudement accueilli par les festivaliers, Claude Gagnon (Keiko, Kenny, Kamataki) expliquait qu’il avait trouvé amusant de se servir de ce mot, car c’est en buvant de l’alcool que Pierre (Gabriel Arcand) retrouve goût à la vie. En quelque sorte, karakara correspond à son vide intérieur.

Venu à Okinawa suivre des cours de Qi Gong, Pierre, professeur de littérature à la retraite de Montréal, rencontre Junko (Youki Kudoh), pétulante quadragénaire, qui lui propose de devenir son interprète. Bien qu’il souhaite voyager en toute quiétude, Pierre accepte la présence de cette femme qui lui avoue alors avoir quitté son mari violent: "J’aime beaucoup la complémentarité des gens. Ne pas être pareil à l’autre, c’est toujours un plus, jamais un moins", avance le réalisateur.

"J’ignore à quel moment Pierre a perdu sa passion, mais je sais qu’il cherche dans la mauvaise direction, poursuit-il. J’ai rencontré beaucoup de ces étrangers qui vont en Asie en quête de spiritualité, qui croient que celle-ci signifie ne plus avoir de vie. Ces gens vont trop loin dans leur quête. Il ne faut jamais aller trop loin ni ne brûler d’étapes dans les opérations de ce genre-là."

Originaire de Tokyo, Junko est, à l’instar de Pierre, déracinée, en perte de repères: "Je crois beaucoup à cette notion de déracinement. Quand on est confronté à une autre réalité, on se questionne différemment. Le point le plus important, c’est de se donner un contexte nous permettant de le faire. J’aime beaucoup l’idée de l’étranger; mon prochain film fera des liens entre le Québec et la Hongrie. Il ne s’agit pas d’une fuite, mais d’un repositionnement dans un milieu différent."

Au cours de sa quête initiatique, Pierre développera un intérêt envers une artisane nonagénaire, considérée comme un trésor national, qui pratique le bashofu, technique de tissage de fibres de bananier. Celui qui a enseigné toute sa vie retrouvera-t-il l’équilibre en redevenant élève? "Il faut apprendre à vivre. À une certaine époque, on avait des modèles pour cela. Aujourd’hui, on est lâché lousse et on doit se débrouiller. C’est l’éternel "to be or not to be". J’ai passé ma vie à me questionner."

Claude Gagnon conclut: "La plus grande différence sociale entre l’Asie et l’Occident, c’est le respect de l’âge et cette notion que l’on peut apprendre l’un de l’autre. La relation intergénérationnelle est hyper importante; moi qui ai souvent engagé des jeunes, j’ai toujours cru à cette stimulation. Ce qui est fascinant à Okinawa, c’est que les enfants communiquent et jouent avec les gens âgés. Chez nous, on a un peu peur des rides, on rejette l’âge et on perd en crédibilité en vieillissant."

En salle le 31 août

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Karakara

En Gabriel Arcand, Claude Gagnon a certes trouvé l’acteur parfait pour nous guider dans cette lente quête initiatique en sol japonais. D’une force tranquille, tout en retenue, l’acteur devient en quelque sorte l’alter ego du spectateur, qui partagera avec lui le même agréable dépaysement, le même irrésistible envoûtement, les mêmes surprises, les bonnes comme les mauvaises. De fait, si l’on se laisse ravir par l’exotisme nippon, acceptant de se perdre dans la contemplation du bashofu, le tandem que forment le stoïque Arcand et l’exubérante Youki Kudoh s’avère par moments si dépareillé que l’on se prend à souhaiter sa destitution. Dénonçant la violence conjugale avec humour et légèreté, Gagnon rate sa cible, mais se rattrape aussitôt dans son émouvante réflexion sur notre rapport avec la vieillesse.